Mai – Trinité

Mois de mai

« Trinité »

Ecoutons Guillaume de Saint Thierry
« Le Miroir de la foi »

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Le Quadrilobe – Miniature vers 1220

C’est pourquoi le Verbe de Dieu est apparu dans la forme d’un homme, afin qu’ayant autrefois parlé à plusieurs reprises et en diverses manières, à nos pères par les prophètes, Dieu nous parle enfin en ces jours présents par son Fils ; c’est-à-dire efficacement, comme par son Verbe même, car ce qui se faisait en lui temporellement et corporellement, il le tendait à recevoir pour ainsi dire aux mains de la foi ; mais le Verbe lui-même, par qui tout a été fait, il le promettait à ceux qui devaient être purifiés à travers les réalités corporelles et temporelles et réservait à ceux qui seront purifiés de le contempler et de le posséder plus pleinement dans l’éternelle béatitude.

De même qu’au ciel, le Christ ne sera pas connu selon l’homme, de même ici-bas, que ceux qui désirent le connaître dans une certaine mesure au-dessus de l’homme, ne s’attachent pas trop aux mots qui sont dits de lui, mais qu’ils s’en servent comme d’un navire pour passer de la foi à la vision. En effet, quand il est dit que le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père et qu’ils sont en nous, et nous en eux, si nous comprenons ces choses selon les mots, que forgeons-nous dans nos cœurs sinon une idole ? Puisque pour chacun le lieu est là où il se trouve, si en partant de ces paroles nous pensons « lieu » ou quelque chose de local en Dieu, nous errons loin de la vérité.

Comme nous l’avons dit, soit par les mots, soit par les formes des mots, il progresse beaucoup celui qui n’accepte dans son cœur à propos de Dieu aucune pensée qui ne soit Dieu lui-même, tant que Dieu ne peut être pensé tel qu’il est. Mais comme autre est le Père, autre le Fils, dire que pour le Père être dans le Fils est être ce qu’est le Fils, pour le Fils être dans le Père est être ce qu’est le Père. Quant à nous, nous sommes en eux par l’affection pieuse, et eux sont en nous par l’opération très miséricordieuse de l’amour lui-même.

Mais ces paroles du Seigneur et nos paroles qui les expriment, par l’usage ou par la raison, nous avons enseigné à notre bouche à les dire, à notre cœur à y penser autant de fois que nous le voulons ; cependant, parfois nous ne le comprenons pas, même si nous le désirons vivement, si ce n’est par l’expérience de l’affection et par le sens intérieur de l’amour illuminé.

C’est pourquoi le Seigneur lui-même apparaissant aux hommes dans la chair, de même qu’il a arraché du monde les vaines idoles, de même en proposant à ceux qui pensent à Dieu l’unité dans la Trinité et la Trinité dans l’unité, il a, fulgurant éclair de la divinité, ôté toute vaine imagination relative à Dieu de la pensée inspirée de la foi. Du moment qu’il a enseigné que l’intelligence de la divinité dépasse l’homme, il a enseigné par-là aux hommes à penser à sa manière.

Donc tous les faits ou paroles du Verbe de Dieu sont pour nous une seule parole ; tout ce qu’à son propos, nous lisons, entendons, disons, méditons, soit en provoquant l’amour, soit en suscitant la crainte, nous ramène à l’un, nous conduit vers l’un ; beaucoup de choses sont dites à propos de lui et rien n’est dit, car on ne parvient à la réalité que si lui-même que nous cherchons vient à nous, illumine devant nous son visage et éclaire sa face pour qu’à la lumière de son visage, nous sachions par où nous avançons. Son visage qui se fait connaître au sentiment de celui qui aime, c’est sa volonté ; sa face, c’est la connaissance de la vérité.

Jamais on ne pense bien au sujet de Dieu, sinon quand Dieu se présente sous cette face ou que le sentiment de celui qui sent Dieu se conforme à cette face ; et on ne juge pas bien de ce que l’on a ainsi senti, si ce n’est pas de ce visage que provint le jugement de celui qui juge; on ne fait rien de bien et on ne vit pas bien si ce n’est de lui que vient la forme des actes et de la vie de qui veut vivre selon Dieu et l’on ne cherche à avoir et l’on ne reçoit de lui que par le don de la grâce qui prévient tout mérite.

Le Miroir de la foi – n° 76-77 – Extraits

Qui est Guillaume de Saint Thierry – Théologien et philosophe

Né à Liège vers 1085, Guillaume quitte son pays pour faire ses études, sans doute à Laon. Puis il prend l’habit monastique dans l’abbaye bénédictine de Saint Nicaise de Reims, alors en pleine ferveur. Il devient ensuite abbé du monastère bénédictin de Saint-Thierry, près de Reims, vers 1121. Il avait fait la connaissance de Bernard quelques années auparavant ; celui-ci l’avait conquis, et Guillaume désirait devenir cistercien. Bernard qui trouve ce projet trop peu mûri, s’oppose à ce que son ami entre à Clairvaux. Plusieurs années après, en 1135 passant outre aux conseils de Bernard, Guillaume rejoint la jeune fondation cistercienne de Signy, le monastère de saint Bernard le plus proche de Reims, où il demeurera jusqu’à sa mort en 1148.

Ce séjour à Signy est fécond : Guillaume écrit beaucoup : « Commentaire du Cantique » dont il avait dû parler avec Bernard quand ils étaient tous deux malades à Clairvaux, « Enigme de la foi », et surtout la « Lettre d’Or », dédiée aux frères chartreux du Mont-Dieu, qui est un condensé de sa doctrine.

Excellent théologien et philosophe, Guillaume est aussi un grand mystique. Pour lui, le dogme est matière à contemplation, non à spéculation. Il est nourri des écrits des Pères de l’Eglise, et très sensibles à ce qu’ils ont de concordant. C’est un des auteurs occidental qui a le mieux perçu en profondeur la pensée d’Origène.

Moine avant tout, il contribue plus qu’un autre à la théologie de l’expérience de Dieu, fondée sur la foi, dont l’objet ne peut être atteint que par l’amour. C’est l’Esprit-Saint, union du Père et du Fils, qui communique à l’âme cet amour réciproque du Père et du Fils, et ainsi qui la divinise, la rendant semblable aux Personnes divines. Cette mystique trinitaire est l’apport le plus original et le plus riche de la pensée de Guillaume.

Source Abbaye Notre-Dame de Cîteaux