Novembre – Psaume 90 – 9

Mois de novembre

Ecoutons Saint Bernard – Sermon 9 sur le psaume 90

NEUVIÈME SERMON. « Ce bonheur m’arrivera, parce que vous êtes mon espérance. Vous avez placé votre refuge extrêmement haut (Psal. XC, 9). »

novembre-4001. Entretenons-nous aujourd’hui, mes frères, de la promesse du Père, de l’espérance des enfants, de la fin de notre pèlerinage; de la récompense de notre travail, du fruit de notre captivité. Il est hors de doute que nous sommes maintenant dans une dure captivité, je ne parle pas seulement de cette captivité commune, qui est la conséquence de la condition où sont maintenant réduits tous les hommes, mais j’entends cette captivité particulière, par laquelle, en nous appliquant avec zèle et ardeur, à mortifier notre propre volonté, et nous préparant à perdre même la vie que nous possédons en ce monde, nous nous sommes jetés dans les liens de la rigoureuse discipline de notre institut, et dans les exercices de cette austère pénitence qui nous est comme une prison. Quelle servitude affreuse si elle était forcée, au lieu d’être volontaire ! Mais puisque vous faites votre sacrifice à Dieu volontairement, et. que vous ne faites aucune violence à votre volonté que par votre volonté même, il faut qu’il y ait là quelque chose qui vous pousse, et ce quelque chose est si grand, que rien ne saurait être plus grand. A-t-on sujet de se plaindre, quelque difficile et quelque pénible que soit une chose, quand on ne l’entreprend que pour Dieu ? Si quelquefois la grandeur de nos peines porte ceux qui mous voient à quelque sentiment de compassion, la pensée de la cause pour laquelle nous souffrons doit les obliger au contraire à se réjouir avec nous; ajoutez à cela que toutes nos bonnes œuvres, non- seulement se font pour Dieu, mais ne se font que par lui ? Car c’est lui qui opère en nous le vouloir, et le parfaire, selon son bon plaisir, (Phil. II, 13). Il est donc l’auteur de tout le bien que nous faisons; c’est lui aussi qui le récompense, et la récompense, c’est lui. De manière que ce Dieu, qui est le souverain bien, et dont l’unité est si parfaite en lui-même, se multiplie en quelque sorte en nous, car il est doublement cause de toutes nos, bonnes actions, cause effective et cause finale. Ce vous est donc un grand bonheur, mes très-chers frères, que non-seulement vous subsistiez et persévériez dans toutes les épreuves où vous vous trouvez, mais que vous en triomphiez encore par la grâce de celui qui vous a aimés. En effet, n’est-ce pas aussi par lui que vous êtes victorieux ? Ont, sans doute ; et c’est ce que l’Apôtre nous enseigne manifestement en ces termes : « Comme nos afflictions sont abondantes pour Jésus-Christ, ainsi nos consolations sont abondantes par lui (Cor. 1, 5). »

2. Cette parole, «pour Dieu, » est fort en usage. C’est une façon de parler extrêmement commune. Mais en même, temps, c’est une parole d’une très-grande profondeur. Elle se trouve souvent en la bouche des hommes, même de ceux qui montrent assez qu’elle est loin de leur cœur. Tous les hommes demandent qu’on leur accorde, pour Dieu, ce qu’ils désirent obtenir, ils demandent avec instance que, pour Dieu, on les assiste dans leurs besoins, et quelquefois on demande facilement, pour Dieu, ce qui n’est pas toujours selon Dieu, et qui est plutôt contre Dieu. On sollicite souvent pour soi, au nom de Dieu, des choses qu’on est loin de désirer par amour de Dieu, et qu’on souhaite au contraire en dépit de Dieu. Néanmoins cette parole est vive et efficace, lorsqu’on ne la dit point négligemment, par manière de parler, par habitude, ou par artifice, afin de mieux persuader ce qu’on désire, mais lorsqu’elle ne procède; comme cela doit être, que de l’onction, de l’abondance de la piété, et de la pureté d’intention. Le monde passe et périt avec toutes ses convoitises; et ceux qui agissent pour ce monde si passager et si périssable, connaîtront, lorsqu’ils le verront périr, que les choses qu’ils ont faites pour lui n’ont pas eu de fin utile, ni un fondement solide: Quand la cause pour laquelle on avait agi viendra à manquer, comment se pourra-t-il faire que les choses, qui n’étaient appuyées que sur elle ne tombent point avec elle ? Voilà pourquoi, comme dit l’Apôtre, ceux qui sèment en la chair, ne recueilleront que la corruption, attendu que ce qu’elle est, n’est que comme l’herbe des champs, toute sa gloire, comme les fleurs des prairies (Isa. XL, 6). Sitôt que l’herbe se fane, ses fleurs perdent leur éclat et leur beauté. Il n’y a que celui qui est la cause souveraine de toutes choses qui ne puisse finir; et ce n’est point la fleur des champs, mais sa parole qui demeure éternellement. «Le ciel, dit-il, et la terre passeront, mais ma parole ne passera point (Matth. XXIV, 35). »

3. C’est donc, mes très-chers frères, avec prudence et à propos, que vous avez choisi de marcher, par des voies dures et difficiles, à cause des paroles de Notre-Seigneur, et que vous semez là où vous ne sauriez perdre le moindre grain de votre semence. Il est certain que celui qui sème peu, ne laissera pas de moissonner, mais la moisson ne sera pas abondante (II. Cor. IX, 6). Moissonner, c’est recevoir la récompense, et nous savons quel est celui qui a promis que quiconque aura donné pour son nom, même un seul verre d’eau fraîche, ne sera point frustré de la récompense qu’il aura méritée (Matth., X, 42). Mais ne savons-nous pas qu’il nous rendra la même mesure que nous aurons donnée pour lui, et qu’il donnera une récompense proportionnée à leur mérite, à ceux qui ne se seront pas contentés de présenter un verre d’eau à leurs frères, mais qui auront répandu leur propre sang, et bu le calice du Sauveur qui leur aura été offert. Ce calice n’est point rempli d’eau fraîche seulement; il est plein d’une liqueur enivrante. C’est un calice de vin pur, ou plutôt de vin mélangé. Il n’y a que Jésus-Christ qui ait eu, dans ses souffrances, un vin d’une entière pureté, parce qu’il n’y a que lui qui soit parfaitement pur, et qui, par son infinie pureté, peut rendre purs ceux qui ont une origine impure. Il n’y a que lui qui ait bu un vin pur, parce que, en tant que Dieu, il est cette sagesse qui est présente et qui agit partout, sans que rien puisse diminuer sa pureté, et que, en tant qu’homme, il n’a point commis le péché, et n’a pas laissé sortir de sa bouche une parole qui n’ait été véritable. Il n’y a que lui seul qui n’ait point goûté la mort par la nécessité de sa condition, mais par le seul bon plaisir et le choix de sa volonté, et sans vue d’intérêt, car il ne saurait avoir besoin de quoi que ce soit qui dépende de nous. Car ce n’a point été pour reconnaître notre affection par une affection réciproque, qu’il a voulu se soumettre à la mort, puisqu’il ne l’a pas soufferte pour des amis qu’il eût déjà acquis, mais pour des amis qu’il devait acquérir, en se faisant des amis de ses propres ennemis. Car, comme dit l’Apôtre, c’est lorsque nous étions encore ennemis que nous avons été réconciliés à Dieu par le sang de son Fils, ou plutôt, c’est en effet pour ses amis qu’il est mort, sinon pour des amis qui l’aimassent déjà, du moins pour des amis que lui-même aimait beaucoup. Il est certain que la grâce de Dieu a consisté principalement, non pas en ce que nous avons commencé par aimer Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés le premier. Voulez-vous apprendre combien il nous a aimés longtemps avant que nous l’aimassions ? Ecoutez l’Apôtre : «Bénissons Dieu, dit-il, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés de toutes bénédictions spirituelles par les biens célestes en Jésus-Christ; car il a fait choix de nous en lui avant la création du monde; » et un peu plus loin : « il nous a comblés de ses bienfaits en son fils bien-aimé (Ephes. I, 3). » Comment donc n’aurions-nous pas été dès ce moment aimés en ce Fils, lorsque nous étions déjà choisis en lui ? Et comment n’aurions-nous pas été agréables à celui en qui nous avons reçu la grâce qui nous a sanctifiés ? Si donc, selon l’ordre des temps, Jésus-Christ est mort pour des impies, selon l’ordre de la prédestination, il est mort pour des frères et pour des amis.

4. Il paraît donc par toutes ces circonstances, qu’il n’y a qu’en lui qu’on trouve le vin exempt de tout mélange, et nul, parmi les saints, n’oserait prétendre qu’on n’a point sujet de lui appliquer cette parole d’un prophète. « Votre vin est mêlé d’eau (Isa. I, 22). » D’abord parce qu’il n’y a personne en cette vie qui soit exempt de toute souillure, et que personne ne peut se donner la gloire d’avoir le cœur entièrement pur. En second lieu, parce qu’il faut qu’un jour nous acquittions la dette de la mort. En troisième lieu, parce que ceux qui exposent leur vie pour Jésus-Christ, achètent et gagnent la vie éternelle. Mais qu’ils seraient malheureux s’ils rougissaient de lui rendre témoignage jusqu’à la mort ! Il y a encore une quatrième raison pour laquelle le désir que peuvent avoir les hommes de mourir pour Jésus-Christ est toujours mêlé de quelque défaut, c’est que ce témoignage est toujours fort disproportionné et fort inégal en comparaison de cet amour si grand qu’il a eu pour eux. Néanmoins celui qui, dans toute sa personne, est si exempt de tout mélange d’imperfection, ne dédaigne pas le bien qu’il voit en ses serviteurs, quoiqu’il soit mêlé de beaucoup de défauts. Et c’est ce qui a fait dire à l’Apôtre, qu’il accomplissait en son corps les choses qui manquent à la passion de Jésus-Christ (Coloss. I, 24). Il doit donc donner à tous ses élus le salaire de l’éternelle vie. Mais comme une étoile diffère en sa clarté d’une autre étoile, et que la lumière du soleil, celle de la lune et celle des étoiles sont des lumières diverses et inégales ; ainsi en sera-t-il des saints après la résurrection. Il n’y aura, selon le langage de l’Evangile, qu’une maison dans le ciel; mais il y aura plusieurs demeures en cette maison. De telle sorte qu’en ce qui regarde l’éternité et l’abondance de la récompense, le saint qui aura peu, en comparaison d’un autre, ne souffrira pourtant aucune diminution. Et celui qui aura davantage, n’aura rien au delà de la mesure. Dieu fera recevoir à chacun selon son travail, afin que le moindre grain que l’on a semé porte son fruit en Jésus-Christ.

5. Je suis entré dans ce détail, mes frères, afin de vous faire estimer la réponse si spirituelle et si excellente que nous avons à considérer aujourd’hui : « Seigneur, vous êtes mon espérance.» Quelque chose donc que j’entreprenne, de quelque chose que je me détourne, quoi que je souffre ou que je désire, Seigneur, vous êtes toute mon espérance. C’est par cette seule espérance que je tiens compte de toutes vos promesses, elle est le fondement de mon attente. Que les uns fassent valoir leurs mérites, que les autres se vantent de supporter le poids du jour et de la chaleur ; que d’autres enfin allègent leurs jeûnes, et se glorifient de n’être pas comme le reste des hommes ; pour moi je trouve tout mon bien à m’attacher à Dieu et à mettre en lui toute mon espérance. Qu’il y en ait qui espèrent en d’autres secours, que l’un se confie en sa science, l’autre en la sagesse du siècle ; celui-ci en sa noblesse, celui-là en sa dignité et en sa puissance, et ce dernier en quelque autre vanité ; pour moi je regarde toutes ces choses comme un vil fumier, parce que, Seigneur, vous êtes mon unique espérance. Mette qui veut son espérance dans les richesses incertaines, pour moi, je ne demanderai, que de vous le pain de chaque jour, plein de confiance en ces paroles que vous avez dites, et sur lesquelles je me suis fondé en renonçant à toutes choses : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et, la justice, et toutes les autres choses vous seront accordées comme par surcroît (Matt. VI, 33); » car « le pauvre est abandonné à vos soins, et vous donnerez secours à l’orphelin (Psal. IX, III). » Si on me parle de récompenses, c’est par vous que j’espérerai les obtenir. Si on me faite la guerre, si le monde exerce contre moi sa fureur, si l’ennemi, qui est la méchanceté même, frémit de rage contre moi, si ma chair me tourmente par des désirs contraires à l’esprit, je mettrai mon espérance en vous.

6. Voilà, mes frères, quels doivent être vos sentiments. Les avoir, c’est vivre de la foi ; et personne ne saurait dire du fond de son cœur «  Vous êtes mon espérance (Psal LIV, 23) ; » sinon celui à qui l’esprit de Dieu a fortement persuadé (selon le mot du Prophète), d’abandonner tous ses soins et toutes ses pensées à Notre-Seigneur, en se tenant assuré qu’il ne manquera pas de pourvoir à sa nourriture, selon cette parole de l’apôtre saint Pierre : « Renoncez à toutes vos inquiétudes, et remettez-les entre les mains de Notre-Seigneur, car il a soin de vous, (Petr. V. 1). » Si nous avons ces sentiments dans le cœur, pourquoi différons-nous de rejeter entièrement les espérances qui n’ont rien que de vain, d’inutile, de trompeur et de misérable, pour nous attacher de toute notre âme, et avec toute la ferveur de notre esprit, à cette espérance si solide, si parfaite, si heureuse ? Si quelque chose est impossible à notre Dieu, si quelque chose lui est difficile, cherchez un autre fondement de vos espérances que lui. Mais il peut tout par sa seule parole, or qu’y a-t-il de plus facile que de dire un mot ? Mais il faut entendre ce que c’est que ce mot. S’il a résolu de nous sauver, nous serons sauvés, s’il veut nous donner des récompenses éternelles, il lui est permis de faire ce qu’il lui plaît. Mais serait-il possible que ne doutant pas de la facilité que Dieu a de faire ce qu’il veut, vous eussiez quelque défiance de sa volonté ? Les témoignages qu’il a rendus de cette volonté sont dignes de notre confiance au delà de tout ce qu’on en peut dire. « Personne, dit-il, ne saurait avoir un plus grand amour que celui par lequel on expose sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13). » Quand est-ce que cette grandeur de notre Dieu, qui nous avertit si instamment d’espérer en lui, a manqué à ceux qui ont mis en lui leur espérance ? Il n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui. « Il leur donnera son secours, dit le Prophète, il les délivrera des pécheurs, et les sauvera (Psal. XXXVI, 10). » Pour quels mérites de leur part ? Ecoutez ce qui suit : « Parce qu’ils ont espéré en lui » Cette raison est bien douce, elle est efficace et péremptoire. C’est en cette espérance que consiste la justice, non pas la justice qui vient de la loi, mais celle qui vient de la foi. « Du sein de quelque affliction et de quelque accablement, qu’ils poussent un cri vers moi, dit-il, je les exaucerai. » Représentez-vous toutes les afflictions imaginables, les consolations qu’il vous promet donneront toujours, à votre âme, une joie proportionnée à ce que vous souffrirez, pourvu que vous n’ayez point de recours à d’autres qu’à lui ; que vous ne manquiez point de crier vers lui, et que vous espériez en lui, et que vous ne preniez point des choses basses et terrestres, mais le Dieu Tout-Puissant pour votre refuge. Qui a espéré en lui et a été confondu ? Il est plus facile que le ciel et la terre passent que sa parole soit sans effet.

7. « Vous avez placé votre refuge bien haut, dit le Psalmiste. » Le, tentateur ne s’en approchera point, le calomniateur n’y montera pas, et le perfide accusateur de ses frères n’y pourra jamais atteindre. Cette parole du Prophète est adressée à celui qui demeure en la protection du Très-Haut, et qui va s’y réfugier contre sa propre faiblesse et la timidité de son âme, et contres les tempêtes qu’il redoute. Nous sommes certainement doublement forcés de fuir vers cet asile ; des combats nous menacent au dehors, et des craintes nous agitent au dedans. Sans doute nous aurions bien moins besoin de fuir si nous avions au-dedans une magnanimité qui nous fit courageusement braver les attaques du dehors, ou si notre faiblesse intérieure se trouvait rassurée par l’éloignement des ennemis du dehors. Le Prophète dit donc «Vous avez placé votre refuge extrêmement haut.» Fuyons souvent, mes frères, en cet asile. C’est une forteresse bien défendue ; on n’y craint nul ennemi. Que nous serions heureux s’il nous était permis d’y demeurer toujours ! Mais un tel bonheur n’est pas de ce monde. Ce qui n’est pour nous maintenant qu’un refuge, sera un jour notre demeure, et pour l’éternité. Mais, en attendant, si nous n’avons pas maintenant la liberté de nous y établir pour toujours, nous devons néanmoins nous y réfugier en maintes occasions. C’est une ville de refuge qui nous est ouverte dans toutes les tentations, dans toutes les peines qui nous arrivent, et dans toutes nos nécessités de quelque nature qu’elles soient. C’est le sein d’une mère qui est toujours prêt à nous recevoir, ce sont les fentes de la pierre préparées pour nous recevoir et nous cacher, les entrailles de la miséricorde de Dieu ouvertes devant nous ; ne mous étonnons plus après cela si celui qui s’éloigne de ce refuge n’a plus la puissance d’échapper à ses ennemis.

8. Ce que je viens de vous dire semblerait pouvoir suffire pour l’explication de ce verset, si le Prophète avait dit simplement, comme en d’autres psaumes: « J’ai espéré en vous ». Mais cette expression : « vous êtes mon espérance, ô mon Dieu, » parait signifier quelque chose de plus grand et de plus élevé ; savoir que l’âme fidèle non-seulement espère en Dieu, mais que c’est Dieu même qu’elle espère. Car il est plus juste d’appeler notre espérance, celui que nous espérons, que celui en qui nous espérons. Il peut se trouver des personnes qui désirent recevoir de Dieu des biens soit temporels, soit même spirituels. Mais la charité parfaite ne désire que le souverain bien, et s’écrie de toute l’ardeur de son désir : « Quel bien m’est réservé dans le ciel ? Et qu’est-ce que je vous demande de toutes les choses qui sont sur la terre ? Vous êtes le Dieu de mon cœur et mon éternel partage (Psal. LXXII, 25). » Le texte du prophète Jérémie que nous avons lu aujourd’hui, nous marque très-bien ces deux espérances, en peu de paroles : « Seigneur vous êtes bon à ceux qui espèrent en vous, à l’âme qui vous cherche (Thren. III, 25). » Votre discernement vous a fait remarquer dans ces paroles la différence des nombres. Le Prophète parle au pluriel de ceux qui espèrent en Dieu, parce que cela est commun à plusieurs ; mais il emploie le singulier lorsqu’il désigne l’âme qui cherche Dieu même, parce que c’est le propre d’une pureté, d’une grâce, d’une perfection uniques non-seulement de ne rien espérer que de Dieu, mais de ne rien espérer que Dieu même. Que s’il est bon à ceux qui espèrent seulement en lui, combien plus l’est-il à celui qui n’espère que lui.

9. C’est donc avec raison que Dieu répond à l’âme qui le cherche «Vous avez placé votre refuge extrêmement haut. » Car l’âme qui est ainsi altérée de son Dieu, ne lui demande point avec saint Pierre de lui faire un tabernacle sur une montagne (Matth. XVII, 14), ni avec Madeleine, de le toucher sur la terre (Joan. XX, 17), mais elle lui crie : « Fuyez, mon bien-aimé ; imitez dans votre course la vitesse des chevreuils et des faons de biches qui courent sur les montagnes de Béthel. (Cant. VIII, 14). » Cette âme sait que le Sauveur a dit : « Si vous m’aimiez, vous auriez de la joie de ce que je m’en vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi (Joan. XX, 17). » Elle sait qu’il a dit à Madeleine: « Ne me touchez point, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Et n’ignorant pas les desseins de Dieu, elle s’écrie avec l’Apôtre : « Si nous avons connu Jésus-Christ, selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière (II Cor. V, 16). » Fuyez sur les montagnes de Béthel, c’est-à-dire : Montez au dessus des puissances et des principautés, au dessus des anges et des archanges, au dessus des chérubins et des séraphins , car les montagnes de la maison de Dieu qui, selon l’Hébreu, est signifiée par le mot Béthel, ne sont autre chose que ces esprits bienheureux. Il s’est mis au dessus d’eux, lorsqu’il a voulu prendre, à la droite de son Père, le rang infiniment élevé qui lui appartenait, afin de lui être égal en toutes choses. Elle sait que la vie éternelle, c’est connaître le Père éternel qui est le vrai Dieu, et Jésus-Christ son Fils, qu’il a envoyé, qui lui est égal et qui est le vrai Dieu avec lui, digne par dessus tout de nos bénédictions dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
- Neuvième sermon