Février – Se retirer au désert
« Il sortit et se retira dans un endroit désert »
Ecoutons Guillaume de Saint Thierry – Oraisons méditatives
Toi qui es mon refuge et ma force, conduis-moi, comme jadis ton serviteur Moïse, au cœur de ton désert, là où flamboie le buisson sans qu’il se consume (Ex 3), là où l’âme…, envahie par le feu du Saint Esprit, devient ardente comme un séraphin brûlant, sans se consumer, mais en se purifiant…
Là où l’on ne peut demeurer et où l’on n’avance plus qu’après avoir dénoué les sandales des entraves charnelles…, là où celui qui est, sans doute ne se laisse pas voir tel qu’il est, mais où cependant on l’entend dire : « Je suis celui qui suis ! » Là, il faut bien encore se couvrir le visage pour ne pas regarder le Seigneur en face, mais on doit s’y exercer à prêter l’oreille, dans l’humilité de l’obéissance, pour entendre ce que le Seigneur son Dieu murmure en lui.
En attendant, Seigneur, « cache-moi dans le secret de ta tente » durant le jour mauvais ; « cache-moi dans le secret de ta face, loin de l’intrigue des langues » (Ps 26,5; 30,21). Car ton joug si doux et ton fardeau si léger (Mt 11,30), tu les as posés sur moi. Et quand tu me fais sentir la distance entre ton service et celui de ce monde, d’une voix tendre et douce tu me demandes s’il est plus agréable de te servir, toi le Dieu vivant, que les dieux étrangers (cf 2Ch 12,8). Alors, j’adore cette main qui pèse sur moi… et je te dis : « Ils m’ont assez longtemps dominé, les maîtres autres que toi ! Je veux t’appartenir à toi seul, j’accueille ton joug, ton fardeau ne me pèse pas : il me soulève ».
Oraisons méditatives, IV, 155 (trad. cf SC 324, p. 89) – Extraits
Qui est Guillaume de Saint-Thierry (v. 1085-1148), moine bénédictin puis cistercien
Guillaume nait à Liège vers 1085 d’une famille noble. Il étudie dans une école cathédrale française, sous Anselme de Laon. Il entre au monastère bénédictin de Saint-Nicaise à Reims en 1113, avec son frère Simon. Guillaume rencontre Bernard de Clairvaux pour la première fois en 1119 ou 1120. Il naît entre les deux hommes une profonde amitié, qui durera toute la vie. Guillaume désire vivre avec le saint à Clairvaux, dans l’ordre cistercien, mais Bernard refuse et lui impose le devoir de conserver la charge des âmes que la providence lui a confiée. En 1121, Guillaume est élu abbé de l’abbaye bénédictine de Saint-Thierry, près de Reims. C’est là qu’il compose ses deux premiers traités : De contemplando Deo (De la contemplation de Dieu) et De natura et dignitate amoris (De la nature et de la dignité de l’amour) en 1121-1124.
De 1128 à 1135, Guillaume compile plusieurs traités et commentaires, et tente de synthétiser la théologie et le mysticisme du christianisme oriental et occidental. Il s’inspire de la doctrine de Saint Augustin, Origène, Grégoire de Nysse, mais également de l’enseignement du philosophe Plotin. Les Meditativae Orationes (Oraisons méditatives) de Guillaume expriment des préoccupations spirituelles d’une intensité comparable à celle de Saint Augustin dans les Confessions.
Au premier chapitre général des bénédictins en 1132, à Saint-Médard près de Soissons, Guillaume suggère de sages résolutions. Aspirant à une vie plus contemplative, il abandonne son titre d’abbé en 1135, et se retire à l’abbaye cistercienne de Signy dans les Ardennes. En 1140, il tombe par hasard sur un livre au sujet de la doctrine de Pierre Abélard. Il compose alors une lettre incendiaire, ainsi qu’un mémoire dirigé contre le philosophe. Ce mémoire, intitulé Disputatio adversus Petrum Abælardum (Dispute contre Pierre Abélard), contribuera à la condamnation d’Abélard au concile de Sens[5]. Il s’intéresse également au problème de la foi dans le Speculum fidei (Miroir de la foi) et le Aenigma fidei (Énigme de la foi). En 1144, il séjourne à la chartreuse du Mont-Dieu dans les Ardennes et laisse une lettre, l’Epistola ad fratres de Monte Dei (Lettre aux frères du Mont-Dieu), une apologie de la vie contemplative aussi surnommée « lettre d’or[6]». Guillaume meurt le 8 septembre 1148.