Oct. – Aimer, se laisser aimer
Mois d’octobre
« Aimer et se laisser aimer »
Ecoutons Saint Benoît - Lettre à Ogier
La brève lettre, donnée ici en son entier, permet de rencontrer Bernard dans la richesse de son affectivité, mais une affectivité toujours mesurée par l’intelligence. Il s’agit d’une lettre d’amitié, adressée à un ami.
À ta lettre brève, cette brève réponse de ma part : je prends volontiers prétexte de ta brièveté pour être bref à mon tour. Et, à vrai dire, que sert-il à une amitié vraie et, comme tu dis très justement, une amitié éternelle, de se répandre en bavardages inconsistants et éphémères ? Même quand tu t’efforces de me montrer et démontrer ton affection pour moi par une diversité de citations, une multiplicité de mots et une variété d’allusions littéraires, je sens bien, oui, que ce que tu exprimes reste inférieur à ton amour. Et de même tu ne te tromperas pas si tu penses la même chose en ce qui me concerne. Lorsque ta lettre est arrivée entre mes mains, elle t’a trouvé déjà dans mon cœur, toi qui l’avais envoyée. De même, cette lettre que voici, je ne l’écris pas sans ta présence, j’en ai la conviction, et je pense bien que tu ne la liras pas sans ma présence. C’est un travail pour tous deux de nous écrire l’un à l’autre, une fatigue pour nos courriers de porter les lettres de l’un à l’autre, mais est-ce un poids pour nos cœurs que d’aimer? Laissons donc ce qui ne peut se faire sans fatigue, et cultivons ce qui donne d’autant moins de fatigue qu’on s’y applique davantage. Oui, notre cerveau peut se reposer de composer, nos lèvres de parler, nos doigts d’écrire, nos messagers de courir en tout lieu, mais que nos cœurs ne se lassent pas de s’occuper jour et nuit de la loi du Seigneur (Ps 1, 2), qui consiste à aimer. Cette activité-là, plus on s’en dispense, moins on trouve le repos; plus on s’y applique, plus nous éprouvons le repos qu’elle nous procure. Aimons et laissons-nous aimer. Aimons, c’est notre intérêt; laissons-nous aimer, c’est l’intérêt de nos amis. Nous trouvons en effet notre repos en ceux que nous aimons; tandis que nous offrons en nous un lieu de repos à ceux dont nous nous laissons aimer. En outre, aimer en Dieu, c’est posséder l’amour; mais s’efforcer d’être aimé à cause de Dieu, c’est servir l’amour.
Mais que suis-je en train de faire ! J’ai promis d’être bref, et déjà je me montre prolixe !
– À propos de frère Guerric, si tu veux des nouvelles, ou plutôt puisque tu en veux, voici: il court, mais sans aller à l’aveuglette; il combat, mais sans frapper dans le vide (1 Co 9, 26). Cependant, comme il sait que le succès ne dépend pas de celui qui combat ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (Rm 9,16), il te prie de prier Dieu pour lui, afin que celui qui déjà lui a donné et de combattre et de courir, lui donne et de vaincre et de parvenir au but.
– Votre abbé, qui m’est très cher non seulement à cause de toi mais aussi à cause de sa bonne réputation, je le salue de tout mon cœur et par l’intermédiaire de ta bouche. J’aurai grand plaisir à le voir au jour et au lieu que tu as promis.
– Je te confie également ceci: une fois encore la main du Seigneur s’est quelque peu appesantie sur moi (1 Sm 5, 6); j’ai été poussé, ébranlé, près de tomber (Ps 117,13); la hache se trouvait à la racine de cet arbre infructueux qu’est mon corps et j’ai bien craint d’être bientôt abattu (Mt 3, 10). Mais voici que, grâce à tes prières et à celles de tous nos autres amis, cette fois encore le Seigneur en sa bonté m’a épargné, dans l’attente toutefois qu’à l’avenir je porte le fruit promis (Lc 13, 8).