Nov. – Exigence de la lecture
Mois de novembre
« De l’exigence et du bonheur de lire »
Ecoutons Guillaume de Saint Thierry
Lettre aux frères du Mont Dieu ou « Lettre d’or »
120. À des heures déterminées, il faut s’adonner à une lecture déterminée. Car une lecture occasionnelle, sans suite et comme trouvée par hasard, loin d’être structurante pour le cœur, le jette dans l’instabilité. Accueilli à la légère, le texte disparaît de la mémoire avec plus de légèreté encore. Il faut au contraire demeurer auprès de maîtres déterminés, et le cœur doit se familiariser avec eux.
121. C’est en effet dans l’esprit même qui a présidé à leur formation que les Écritures demandent à être lues, et pareillement aussi à être comprises. Jamais tu n’entreras dans la pensée de Paul, tant que par une attention suivie à le lire et une application assidue à le méditer tu ne te seras imprégné de son esprit. Jamais tu ne comprendras David, tant que par ta propre expérience tu n’auras pas revêtu les sentiments mêmes des psaumes. Et ainsi des autres auteurs. Quel que soit le livre de l’Écriture, il y a autant de distance entre sa lecture studieuse et un simple survol qu’entre une amitié et une rencontre de passage, ou entre un lien de convivialité et une visite occasionnelle.
122. Mais il faut aussi chaque jour prélever de la lecture quotidienne quelque passage pour le confier à la panse de la mémoire; un passage que l’on assimilera avec plus de soin et qui, rappelé à la bouche, sera plus longuement ruminé; un passage qui soit plus en rapport avec notre projet de vie, qui soutienne notre attention, et retienne le cœur de toute dispersion en le rendant insensible aux pensées vagabondes.
123. De la lecture suivie, il faut puiser un élan affectif et former une prière qui interrompe la lecture. Pareille interruption gêne moins le cœur qu’elle ne le rend aussitôt plus lucide pour entrer dans l’intelligence du texte.
124. La lecture se met au service de la visée profonde. Si dans la lecture c’est vraiment Dieu que cherche le lecteur, alors tout ce qu’il lit collabore avec lui dans ce but ; la pensée du lecteur captive et soumet au Christ toute son intelligence du texte. Mais s’il s’écarte de ce but recherché, sa visée entraîne tout avec elle et il ne trouve alors dans les Écritures rien de saint, rien de bon qu’il n’arrive, par vaine gloire, perversion du sens ou mauvaise intelligence, à faire servir à sa propre malice ou vanité. C’est que, en toutes les Écritures, le b.a.ba de la sagesse pour le lecteur consiste en une attention pleine de respect envers le Seigneur : en cette crainte respectueuse s’affermit d’abord l’intention du lecteur, et peuvent alors se donner de manière cohérente l’intelligence et le sens de l’ensemble du texte.
Lettre aux frères du Mont Dieu ou « Lettre d’or » – rédigée en 1144 – Extraits
Texte intégral : Chapitre X, 31
Qui est Guillaume de Saint Thierry – Théologien et philosophe
Né à Liège vers 1085, Guillaume quitte son pays pour faire ses études, sans doute à Laon. Puis il prend l’habit monastique dans l’abbaye bénédictine de Saint Nicaise de Reims, alors en pleine ferveur. Il devient ensuite abbé du monastère bénédictin de Saint-Thierry, près de Reims, vers 1121. Il avait fait la connaissance de Bernard quelques années auparavant ; celui-ci l’avait conquis, et Guillaume désirait devenir cistercien. Bernard qui trouve ce projet trop peu mûri, s’oppose à ce que son ami entre à Clairvaux. Plusieurs années après, en 1135 passant outre aux conseils de Bernard, Guillaume rejoint la jeune fondation cistercienne de Signy, le monastère de saint Bernard le plus proche de Reims, où il demeurera jusqu’à sa mort en 1148.
Ce séjour à Signy est fécond : Guillaume écrit beaucoup : « Commentaire du Cantique » dont il avait dû parler avec Bernard quand ils étaient tous deux malades à Clairvaux, « Enigme de la foi », et surtout la « Lettre d’Or », dédiée aux frères chartreux du Mont-Dieu, qui est un condensé de sa doctrine.
Excellent théologien et philosophe, Guillaume est aussi un grand mystique. Pour lui, le dogme est matière à contemplation, non à spéculation. Il est nourri des écrits des Pères de l’Eglise, et très sensibles à ce qu’ils ont de concordant. C’est un des auteurs occidental qui a le mieux perçu en profondeur la pensée d’Origène.
Moine avant tout, il contribue plus qu’un autre à la théologie de l’expérience de Dieu, fondée sur la foi, dont l’objet ne peut être atteint que par l’amour. C’est l’Esprit-Saint, union du Père et du Fils, qui communique à l’âme cet amour réciproque du Père et du Fils, et ainsi qui la divinise, la rendant semblable aux Personnes divines. Cette mystique trinitaire est l’apport le plus original et le plus riche de la pensée de Guillaume.
Source Abbaye Notre-Dame de Cîteaux