Septembre – Au jardin…
Mois de septembre
« Habiter les jardins du Seigneur »
Ecoutons Guerric d’Igny
Sermon sur la psalmodie (ou sermon sur le Cantique) – 2-4 (extraits)
2. Vous donc, si je ne me trompe, vous êtes de ceux qui habitent dans les jardins ; vous méditez en effet jour et nuit la loi du Seigneur, et vous vous promenez à travers autant de jardins que vous lisez de livres ; vous cueillez autant de fruits que vous recueillez de sentences. Vous êtes bienheureux, vous pour qui ont été gardés tous les fruits, les anciens et les nouveaux : je veux dire vous pour qui les propos tant des prophètes que ceux des évangélistes et des apôtres ont été conservés, de sorte que cette parole de l’épouse à l’Époux semble avoir été adressée à chacun de vous : « J’ai gardé pour toi, mon bien-aimé, tous les fruits, les nouveaux et les anciens ».
« Scrutez donc les Écritures ». Vous ne vous trompez pas, en effet, en croyant posséder en elles la vie, vous qui n’y cherchez rien d’autre que le Christ, auquel « les Écritures rendent témoignage » « Bienheureux, assurément, ceux qui scrutent ses témoignages et le cherchent de tout leur cœur » «Tes témoignages sont admirables, Seigneur, c’est pourquoi mon âme les a scrutés ». Certes, il est nécessaire de les scruter, non seulement pour en extraire les sens mystiques, mais aussi pour en sucer les applications morales. Vous donc, qui vous promenez dans les jardins des Écritures, gardez-vous d’y papillonner avec négligence et en hâte, mais scrutez en chaque phrase, et, comme des abeilles diligentes recueillent le miel des fleurs, recueillez l’esprit dans les mots « Car mon esprit, dit Jésus, est plus doux que le miel, et mon héritage est meilleur que le miel et le rayon de miel » Quand vous expérimenterez la saveur de la manne cachée, vous redirez (eructabitis) cette parole de David : « Que tes paroles sont douces à mon palais, plus douces à ma bouche que le miel et le rayon de miel ».
3. De ces jardins, l’Époux, si je ne me trompe, vous fait passer en d’autres où le repos est plus intime, la jouissance plus bienfaisante, le paysage plus admirable c’est lorsque, appliqués à le louer en un chant d’allégresse et d’action de grâces, il vous ravit « jusqu’au lieu de la tente admirable, jusqu’à la maison de Dieu », je veux dire la lumière inaccessible où il réside, où il se repaît, où il repose à midi. Si en effet la dévotion de ceux qui psalmodient ou prient a quelque chose de la pieuse curiosité de ceux qui demandaient : « Maître, où habites-tu ? », je pense qu’ils mériteront d’entendre cette réponse : « Venez et voyez » « Ils vinrent, dit l’Évangéliste, et ils virent, et ils demeurèrent avec lui ce jour-là ».
Aussi longtemps que nous sommes auprès du Père des lumières, « auprès duquel il n’y a ni changement ni obscurcissement passager », nous ignorons la nuit et ne faisons que jouir du jour bienheureux. Quand nous retombons de là, nous nous replongeons dans notre nuit. Malheureux que je suis ! Comme mes jours se sont vite écoulés, comme j’ai vite séché comme l’herbe, moi qui étais verdoyant et florissant tant que je suis resté dans le jardin avec lui comme dans le paradis de Dieu ! Avec lui, je suis un jardin de délices; sans lui « un lieu d’horreur et de vaste solitude ».
J’estime en effet, que celui qui entre dans le jardin du Seigneur devient lui-même un jardin, et que son âme est un jardin bien arrosé, de sorte que l’Époux dira à sa louange «Tu es un jardin fermé, ma sœur, mon épouse ». Ne sont-ils pas un jardin, ceux en qui se réalise ce que le Jardinier lui-même dit à la plantation que son Père a plantée : « Écoutez-moi, fruits divins, et fructifiez comme la rose plantée au bord des eaux. Comme le Liban, répandez une odeur exquise. Portez des fleurs comme le lis, et couvrez-vous d’un feuillage plein de charme. »
4. Seigneur Jésus, vrai Jardinier, réalise en nous ce que tu exiges de nous, car sans toi nous ne pouvons rien faire. Oui, tu es le vrai Jardinier. Créateur, tu es aussi celui qui cultive et garde ton jardin ; tu le plantes par ta parole, l’arroses par ton esprit, lui donnes croissance par ta puissance. Tu te trompais, Marie, en le prenant pour le jardinier de ce jardin misérable et étroit où il fut enseveli. Il est le jardinier du monde entier, le jardinier du ciel, le jardinier de l’Église qu’il plante et arrose sur cette terre, jusqu’à ce que, sa croissance achevée, il la transplante dans la terre des vivants, près des eaux vives où elle ne craindra pas quand viendra la chaleur brûlante, où son feuillage sera toujours vert et où jamais elle ne cessera de porter du fruit. Bienheureux ceux qui habitent dans ces jardins qui sont à toi, Seigneur ! Ils te loueront dans les siècles des siècles ! [..] Si en effet une douce langue n’avait pas la force d’un chant, on ne lirait pas dans l’Écriture : « La flûte et le psaltérion produisent une douce mélodie, mais une douce langue les surpasse l’un et l’autre ». Si le psalmiste ne savait pas que Dieu prend plaisir à un tel chant, il ne dirait pas : « Que ma parole lui soit agréable ». L’Époux lui-même ne dirait pas « Fais-moi entendre ta voix; qu’elle résonne à mes oreilles, car ta voix est douce » puisque les louanges de Dieu dans ta bouche sont comme celles de ceux qui habitent les jardins, parmi les délices du paradis. Mais par contre « la louange n’est pas belle dans la bouche du pécheur » car il habite dans les sépulcres. Celui dont la vie irrite la colère de Dieu ne saurait le réjouir par sa langue, mais la voix divine lui adresse ces effrayants reproches : « Pourquoi récites-tu mes commandements ? Je n’écouterai pas les chants de ta lyre ».
Sermon sur le Cantique – 2-4 (extraits)
Texte intégral
Qui est Guerric d’Igny – Abbé cistercien (vers 1080 – 1157)
La naissance de Guerric se situe entre 1070 et 1080 à Tournai, donc 10 à 20 ans avant celle de Bernard. Il reçoit son éducation à l’école cathédrale de Tournai : humanité, dialectique et théologie, ce qui lui vaudra un talent d’écrivain bien formé et développé. Sans doute bénéficiera-t-il de l’enseignement d’un maître fameux, Odon de Cambrai. Sans doute aussi sera-t-il chanoine de la cathédrale et chargé de l’école cathédrale. Mais, en 1116, il décide de mener la vie érémitique et se retire dans une petite maison, à proximité de l’église. Il entend parler de saint Bernard par deux de ses amis et visite Clairvaux en 1120, sans avoir l’intention d’y rester. Mais Bernard qui reconnaît en lui l’étoffe d’un bon moine, le presse d’entrer. Le voici novice à Clairvaux, un novice plus âgé que son abbé, et sur le plan humain, doté de plus d’expérience et de maturité. Guerric reste 13 ans à Clairvaux, période qui coïncide avec le plein épanouissement des dons de Bernard et sa meilleure production littéraire. Puis vers 1138, il est envoyé à Igny, en Champagne, qui a été fondée en 1128, et il en devient abbé. Il a environ 60 ans. Sa mauvaise santé le rend incapable de mener la vie commune et de prendre sa part du travail manuel. Il le regrette, car il voit dans cette observance du travail des mains une des voies où l’on rencontre Jésus. Sous l’abbatiat de Guerric, Igny prospère, les vocations arrivent nombreuses. Pourtant c’est uniquement à son œuvre, à ses sermons que sera due l’influence postérieure de Guerric qui meurt en 1157. Nous n’avons de Guerric que le recueil de ses sermons. Tous, sauf le dernier, ont pour sujet les fêtes de l’année liturgique. Guerric y insiste sur les mystères liturgiques et sur la formation du Christ en l’âme de ceux qui y participent. En maints endroits, il reprend l’idée origénienne de la conception et de la naissance du Christ en l’âme. En recevant les sacrements et en imitant le Seigneur, nous le faisons naître en nous. L’âme devient alors « Mère du Christ », et Celui-ci nous donne la vraie vie en communiquant l’Esprit qui procède du Père et de lui.
Voir également la page « Quelques auteurs cisterciens »