Novembre – Psaume 90,1
Mois de novembre
« Celui qui a établi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut,
reposera en sûreté sous la protection du Dieu du ciel (Ps. 90, 1)»
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 1 sur le psaume 90
- Il sera, plus facile de connaître ce qu’il faut entendre par ceux qui demeurent dans l’assistance de Dieu, en considérant quels sont ceux qui ne s’y trouvent point établis. Or, il y a trois espèces d’hommes qui sont dans ce dernier cas : ce sont ceux qui n’espèrent pas, ceux qui désespèrent, et enfin ceux qui espèrent, mais en vain. En effet, on ne saurait avoir établi sa demeure dans l’assistance de Dieu, quand on ne voit point en Dieu son appui, et qu’on le place au contraire dans ses propres forces et dans la multitude de ses richesses. En effet, on n’entend point alors la voix du Prophète qui dit : « Recherchez le Seigneur pendant qu’on peut le trouver, et invoquez-le pendant qu’il est proche (Isa. LV, 6). » Celui qui ne cherche que les choses temporelles, envie le bonheur des méchants en voyant la paix dont ils jouissent, et s’éloigne de l’assistance du Très-Haut, attendu qu’il ne croit pas en avoir besoin pour se la procurer. Mais pourquoi entreprendrai-je de juger, ici ceux qui ne sont point des nôtres (I Cor. V, 12) ! Ce que je crains, c’est qu’il s’en trouve parmi nous qui n’aient point établi leur demeure dans l’assistance du Très-Haut, parce qu’ils se reposent sur leur propre force et sur la multitude de leurs richesses. Peut-être ont-ils une certaine ferveur, peut-être sont-ils fortement adonnés à la pratique des veilles, des jeûnes, du travail et d’autres observances du même genre, et pensent-ils s’être acquis depuis longtemps de grands trésors de mérites, et, pleins de confiance en ces richesses, se montrent moins retenus pas la crainte de Dieu, plus faciles à se laisser aller, avec une dangereuse sécurité, à l’oisiveté et à la curiosité, aux murmures, aux détractions et aux critiques. Assurément, si ceux-là avaient établi leur demeure dans l’assistance du Très-Haut, ils veilleraient davantage sur eux, et craindraient d’offenser celui dont ils sentiraient qu’ils ont tant besoin. En effet, ils devraient d’autant plus appréhender de déplaire à Dieu et le craindre, qu’ils auraient reçu de lui plus de grâces. Car nous ne saurions conserver sans lui ce que nous ne pouvons tenir que de lui. Au contraire, et je ne puis le voir et le dire sans douleur, il y en a beaucoup qui, après s’être montrés assez timorés et assez soucieux de leur âme, dans les premiers temps de leur conversion, jusqu’au jour de leur profession religieuse, commencent alors à se conduire comme s’ils se disaient : ‘’Pourquoi nous astreindrions-nous à un plus long service, puisque nous avons reçu maintenant tout ce qu’il doit nous donner’’, au lieu de se sentir embrasés d’une plus grande ardeur, selon ce qui est dit « Ceux qui me mangent auront encore faim de moi (Eccl. XXIV, 29) ». O si vous saviez combien peu de chose est ce que vous avez, et combien vite vous pouvez le perdre, si celui qui vous l’a donné ne se charge point de vous le conserver ! Ces deux pensées doivent nous rendre bien inquiets en même temps que bien soumis à Dieu, si nous ne voulons pas être du nombre de ceux qui n’ont point établi leur demeure dans l’assistance du Très-Haut, parce qu’ils ne croient pas que cela leur soit nécessaire. Tels sont ceux dont je dis : ils n’espèrent point dans le Seigneur.
- Il y en a aussi qui désespèrent. Ce sont ceux qui, considérant leur propre faiblesse, manquent de courage et succombent sous le poids de la faiblesse de l’esprit, ayant établi leur demeure dans leur chair et tout entiers à leur propre infirmité, ils sont en état de vous raconter, sans s’arrêter, tout ce qu’ils souffrent, car l’esprit constamment fixé sur un objet l’expose sans hésiter. Ainsi on n’a point établi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut, et on ne connait point cette assistance, quand on ne saurait s’élever assez haut même pour y songer. Il y en a bien qui espèrent en Dieu, mais dont l’espérance est vaine, attendu qu’ils se flattent de cette espérance en sa miséricorde infinie, pour ne point se corriger de leurs défauts. Cette espérance est tout à fait vaine, et ne peut que les confondre, attendu qu’elle n’est point accompagnée de la charité. C’est à eux que le Prophète (a) s’adresse quand il dit: « Maudit soit celui qui pèche dans l’espérance du pardon, et qu’un autre Prophète (Ps. CXCVI, 11) pensait lorsqu’il s’exprimait en ces termes : « Le Seigneur se complaît dans ceux qui le craignent et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde. » Avant de dire « et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde » il a soin de nous parler « de ceux qui le craignent ». C’est qu’en effet on espère en vain, on rend, dis-je, sa foi complètement nulle quand on rejette la grâce par le mépris qu’on en fait.
a – On ne sait de quel prophète saint Bernard veut parler ici, à moins que ce ne soit de Jérémie qui exprime une pensée analogue à celle de notre Saint, chapitre XVII, verset 5.
- Des trois sortes d’hommes dont je viens de parler il n’y en a donc point qui aient établi leur demeure dans l’assistance du Très-Haut. Les premiers l’ont établie dans leurs propres mérites, les seconds dans leurs peines et les troisièmes dans leurs vices. Cette dernière demeure est pleine d’immondices, la seconde de trouble, et la première de périls et de folie. En effet, qu’y a-t-il de plus insensé que de fixer sa demeure dans une maison à peine commencée ? Vous croyez peut-être l’avoir achevée ? Mais n’est-il point dit : quand l’homme est arrivé à la fin, il ne fait que commencer (Eccl. XVIII, 6) ? D’ailleurs, une telle habitation menace ruine à chaque instant, et ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce n’est pas de l’habiter, mais de la nettoyer et de la consolider. La vie présente n’est-elle point incertaine et fragile ? Tout ce qui se fonde sur elle est donc nécessairement semblable à elle : car personne ne saurait penser qu’on peut construire solidement sur un fondement sans solidité. Or, si la demeure de ceux qui mettent leur confiance en leurs propres mérites est ruineuse, il s’ensuit nécessairement qu’elle est pleine de dangers. Quant à ceux qui s’abandonnent au désespoir à la vue de leurs propres, faiblesses, ils ont établi leur demeure dans une maison pleine de trouble, ils habitent au milieu même des tourments. En effet, en même temps qu’ils sont en proie à des peines qui les rongent, le jour et la nuit, ils sont bien plus tourmentés encore par les maux qu’ils ne voient point, en sorte qu’on ne saurait dire que, pour eux, à chaque jour suffit sa peine ; ils sont accablés par des maux qui ne leur arriveront même peut-être jamais. Est-il tourments plus insupportables ? Peut-on imaginer un enfer plus intolérable ? Surtout si ou songe, qu’au sein de tant de maux ils ne sont pas même soutenus par la manducation du pain du ciel. Ces derniers-là n’ont donc point établi leur assistance dans la demeure du Très-Haut, parce qu’ils sont tombés dans le désespoir. Quant aux premiers, ils ne cherchent point cette assistance, parce qu’ils n’en sentent point la nécessité pour eux. Mais les derniers ne sont loin de Dieu que parce qu’ils recherchent son assistance d’une manière qui ne la leur fera jamais trouver. Ceux-là seuls ont établi leur demeure dans l’assistance divine qui n’ont qu’un désir : obtenir cette assistance, qu’une crainte : venir à la perdre. Toutes leurs pensées, tous leurs soins, toute leur sollicitude est là, c’est, pour eux, toute la piété, tout le culte de Dieu. Ah ! bienheureux certainement celui qui a établi ainsi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut, attendu qu’il restera dans la protection du Dieu du ciel. Qu’y a-t-il parmi toutes les choses qui sont sous le Ciel, qui puisse nuire à celui que le Dieu du ciel a résolu de protéger et de conserver ? Or, il n’y a que sous le ciel que se trouve ce qui peut nous nuire. En effet, c’est là que sont les jouissances invisibles de l’air, le siècle présent avec sa corruption, et la chair qui est en révolte contre l’esprit.
- C’est donc avec infiniment de raison, que le Prophète a dit : « Ceux-là resteront dans 1a protection du Dieu du Ciel » soit parce qu’il n’est rien sous le ciel que puisse craindre celui qui a le bonheur d’être sous cette protection, soit aussi parce que, comme continue le Psalmiste dans le verset suivant : « Celui qui a établi sa demeure dans l’assistance du très-Haut, reposera en sûreté sous la protection du Dieu du ciel, et dira au Seigneur : Vous êtes mon asile » (Ps. CX, 1, 2). En sorte que ces mots «il reposera en sûreté sous la protection du Dieu du Ciel, » sont la conséquence et l’explication de ceux qui précèdent : « Celui qui a établi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut ». Peut-être faut-il voir encore dans les deux parties de ce verset, un avis qui nous est donné, de ne pas seulement rechercher le secours qui nous est nécessaire pour faire le bien, mais aussi la protection dont nous avons besoin pour être délivrés du mal. Il faut encore remarquer que le Prophète dit : « Il reposera sous la protection » non point en la présence de Dieu. Les anges sont plongés par cette présence dans des transports de bonheur. Plaise à Dieu que je puisse me reposer sous sa protection. Pour eux, ils sont heureux en sa présence, puissé-je être en sûreté sous sa protection ! « Sous la protection du Dieu du ciel » dit le Prophète. C’est que si personne ne doute qu’il soit partout, cependant il est au ciel d’une telle manière que, en comparaison, il semble n’être point sur la terre. Voilà pourquoi encore nous disons dans la prière : « Notre Père qui êtes aux cieux ». Il en est de même de notre âme, bien qu’elle soit présente dans le corps tout entier, cependant elle semble l’être d’une manière plus excellente et plus spéciale dans la tête, où tous les sens de l’homme se trouvent réunis, tandis que dans le reste du corps, il n’y a qu’un seul organe, celui du toucher, attendu qu’elle s’y trouve d’une telle façon, qu’il semble qu’elle gouverne plutôt qu’elle n’habite le reste du corps. De même, en comparaison de la présence de Dieu, dont les anges ont le bonheur de jouir dans le ciel, il semble à peine que la protection de Dieu dont nous jouissons mérite ce nom. Heureuse pourtant l’âme qui a le bonheur d’être sous cette protection, car elle peut dire au Seigneur : « Vous êtes mon asile ». Mais réservons l’explication de ce verset pour un autre sermon.
Texte intégral – Dix-sept sermons sur le psaume 90
– Premier sermon