Février – Psaume 90,4
Mois de février
« Il vous couvrira de ses ailes : et vous espérerez, étant à couvert sous ses plumes (Ps. 90, 4). »
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 4 sur le psaume 90
1. C’est avec raison que Dieu promet, dans ces paroles, des bienfaits encore plus grands que les premiers, à celui qui le loue avec humilité, et le remercié avec ferveur des grâces qu’il en a déjà reçues. Car « celui qui sera trouvé fidèle dans l’usage des moindres biens, méritera qu’on lui en confie de beaucoup plus considérables (Matt. XXV, 33 ), » de même que, celui qui n’est pas reconnaissant des biens qu’il a déjà reçus, est indigne d’en recevoir d’autres. C’est pourquoi l’Esprit de Dieu répond si favorablement à cette fervente reconnaissance, en disant Dieu, non content de vous délivrer des périls qui vous menaçaient, aura encore la bonté « de vous couvrir de ses ailes. » Je crois que nous devons entendre par ces ailes deux promesses de Dieu, l’une de secours pour la vie présente, et l’autre de biens que nous recevrons dans la vie éternelle. Car si Dieu se contentait de nous promettre son royaume, et nous laissait manquer des secours dont nous avons besoin pour y parvenir, nous aurions sujet de nous plaindre et de lui dire : il est vrai que le bonheur que vous nous promettez est grand; mais vous ne nous donnez pas les moyens qui nous sont nécessaires pour l’obtenir. C’est pourquoi Dieu, qui nous a promis de nous donner la vie éternelle après que nous serons sortis de ce siècle, a voulu pareillement, par une bonté pleine de prévoyance et d’amour, nous promettre de nous donner dès cette vie le centuple de ce que nous aurons abandonné pour le servir (Marc. X, 30 ). O homme, quelle peut être ton excuse à présent ? Certainement Dieu ferme la bouche aux plaintes injustes car que peut alléguer le tentateur ? Que la vie est longue et pénible ? Mais, s’il vous reste encore beaucoup de chemin à faire (III Reg. XIX, 5), pourquoi craignez-vous la longueur du voyage, puisque Dieu vous donne une nourriture qui doit soutenir vos forces en route ? L’Ange apporta au prophète Elie une nourriture, la plus commune de toutes, du pain et de l’eau, et néanmoins il fut tellement fortifié par cette nourriture, qu’en marchant quarante jours, il ne sentit ni faim ni fatigue. Ne désirez-vous pas que Dieu vous donne par le ministère de ses anges une nourriture si propre à vous soutenir ? Il serait bien étrange que vous n’eussiez pas ce désir .
2. Si vous désirez véritablement cette nourriture céleste, et si vous demandez, non par ambition et par vanité, mais avec humilité, que les anges vous la donnent, écoutez ce que fit Notre-Seigneur que le démon tentait, et engageait à changer des pierres en pain (Matt. IV, 3 ) ; il lui résista, et lui dit : « L’homme n’entretient pas sa vie seulement par le pain, mais par toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deut. II, 3) » et après qu’il eut surmonté les tentations et chassé le tentateur, les anges s’approchèrent et le servirent. Si donc vous voulez être secourus par le ministère des anges, fuyez les consolations du siècle, et résistez aux tentations du diable. Que votre âme refuse de se consoler, d’une autre manière, si vous voulez trouver vos délices à vous entretenir de Dieu. Lorsque vous sentez l’aiguillon de la faim qui vous presse, l’ennemi tâche de vous persuader de courir au pain de la terre mais écoutez plutôt le Seigneur qui vous dit : « Ce n’est pas seulement par le pain que l’homme peut entretenir sa vie. » En effet, pourquoi tous ces soins qui vous absorbent ? Pourquoi vous mettre en peine du boire et du manger, du vêtir et du coucher, sinon pour la conservation de votre corps ? Vous pouvez trouver toutes ces choses en une seule dans la parole de Dieu. Cette parole est une manne qui contient tous les goûts et toutes les odeurs les plus délicieuses, elle établit les hommes dans un vrai repos, elle n’a rien que de vrai, elle est pleine de douceur et sa douceur est toute salutaire, elle apporte bonheur et sainteté à ceux qui en font leur nourriture.
3. Voilà les avantages et les grâces que Dieu nous promet pour la vie présente. Mais qui pourrait expliquer les biens qu’il nous promet pour l’avenir ? Si la seule attente et la seule espérance des justes est pleine de joie, et d’une joie si grande que la possession de tout ce qu’on peut désirer en ce siècle ne saurait jamais mériter de lui être comparée, qui pourrait concevoir quel sera le bonheur qu’ils attendent ? Non jamais, grand Dieu, l’œil n’a vu les biens que vous avez préparés à ceux qui vous aiment (Prov. X, 2), si vous ne les lui avez montrés vous-même. Nous recevons donc de Dieu quatre sortes de bienfaits, lorsqu’il nous couvre de ses ailes. Il nous cache et nous protège ainsi comme des poussins contre la serre des vautours et le bec des milans, c’est-à-dire contre les puissances de l’air. Il nous procure un ombrage salutaire, repousse loin de nous les rayons trop ardents du soleil, enfin il nous nourrit et nous échauffe sous ses divines ailes. Aussi le Prophète dit-il ailleurs: « Il m’a caché dans son tabernacle durant les mauvais jours (Psal. XXVI, 5). » Ces mauvais jours signifient le temps que nous demeurons sur cette terre étrangère qui a été mise en la puissance des méchants, sur cette terre d’où la paix est bannie, et où le Dieu de paix ne règne point ; car s’il y régnait, pourquoi dirions-nous dans la prière que nous faisons tous les jours : « Que votre règne arrive (Matt. VI, 20) ? » C’est pour cela que nous nous cachons, même selon le corps, dans les monastères et dans les bois. Et si vous désirez savoir combien nous gagnons à nous cacher ainsi, il est aisé de vous le montrer. Je crois qu’il n’y a personne parmi vous qui ne fût honoré comme un saint, et qui ne fût regardé comme un ange, s’il faisait dans le monde le quart de ce qu’il fait ici, tandis qu’il trouve tous les jours assez de sujets de s’accuser de négligence, et de se reprocher bien des fautes. Pensez-vous que ce soit un médiocre avantage de n’être pas estimés saints avant de l’être ? Et ne craignez-vous point, en recevant la récompense méprisable que donne le monde, de vous voir privés de celle que nous attendons dans l’autre ? Il est donc nécessaire de nous tenir cachés et inconnus, non-seulement aux yeux des autres, mais encore plus à nous-mêmes. Car c’est ce que Notre-Seigneur nous ordonne par ces paroles : « Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous seront commandées, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous étions obligés de faire (Luc. XVII, 10). » Nous serions bien malheureux si nous ne l’avions pas fait. Notre plus grande vertu et notre souveraine sécurité consistent à vivre dans une solide et sincère piété, à considérer beaucoup plus les grâces qui nous manquent que celles que nous pensons avoir obtenues, et à oublier ce qui est fait, pour ne nous occuper que des choses qui nous restent à faire. Voilà donc comme nous avons le bonheur d’être cachés, ainsi que j’ai dit, sous les ailes du Seigneur. Peut-être est-ce en ce sens qu’il faut entendre l’ombre dont Marie fut recouverte par le Saint-Esprit, quand elle tenait caché aux yeux des hommes l’incompréhensible mystère de sa maternité.
4. Le Prophète dit encore dans un antre endroit : « Vous avez mis ma tête à couvert le jour du combat (Psal. CXXXIX, 1). » Car, de même que la poule, voyant venir un oiseau de proie, étend ses ailes afin que ses poussins viennent se cacher dessous et y trouvent un refuge assuré, ainsi la bonté souveraine et l’ineffable charité de Notre-Seigneur se tient préparée pour nous secourir, et s’étend sur nous en nous ouvrant et nous présentant son sein. C’est pourquoi l’âme fidèle lui dit, comme nous l’avons vu plus haut : « Vous êtes mon refuge. »
Vous voyez donc comme nous trouvons une ombre salutaire, et la protection dont nous avons besoin, sous les ailes dit Seigneur ; car, de même que l’astre du jour, tout excellent et nécessaire qu’il soit, fait mal, par l’excès de sa chaleur, si elle n’est tempérée, à la tête des personnes qui l’ont délicate et faible, et, par son éclat, blesse les yeux malades, ce qui ne vient pas de ce que le soleil est mauvais, mais de ce que nous sommes malades, ainsi en est-il du Soleil de justice. Et c’est pour cette raison que le Sage nous donne cet important avis: « Ne soyez point juste à l’excès (Eccl. VII, 17). » Ce n’est pas que la justice ne soit bonne, mais c’est que tant que nous sommes faibles, il est nécessaire que la grâce que nous recevons, toute bonne qu’elle est, soit modérée, de peur que nous ne tombions dans l’indiscrétion ou dans la vanité. D’où vient qu’en priant avec ferveur et avec assiduité, nous ne pouvons pas arriver à cette abondance de grâces que nous désirons ? Pensez-vous que cela vienne de ce que Dieu soit devenu pour nous avare ou pauvre, impuissant ou inexorable ? Non, non, tant s’en faut. Mais il connaît ce que nous sommes, et il a la bonté de nous tenir à l’ombre de ses ailes.
Il ne faut pas néanmoins, pour cela, que nous cessions de le prier, parce que s’il ne nous accorde pas ce qui pourrait satisfaire pleinement notre désir, du moins il nous donne de quoi le sustenter ; et s’il ne veut pas répandre sur nous une ardeur extrême, au moins il a soin de nous échauffer, comme la mère échauffe ses petits, par une chaleur tempérée. Car c’est le quatrième avantage que nous retirons de la protection de Dieu, qui nous conserve sous ses ailes, comme la poule abrite et réchauffe ses petits, et nous empêche de nous éloigner de lui, de peur que nous ne perdions la vie, par le refroidissement de la charité qui n’est répandue et entretenue en nous que par l’esprit qu’il nous communique. Ce sera donc sous ses ailes, que vous espérerez en toute assurance, et que vous trouverez dans les biens de la vie présente un motif certain d’espérer fermement ceux qu’il vous prépare pour l’avenir.
Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
– Quatrième sermon