Mars – Psaume 90,5
Mois de mars
« La vérité vous couvrira d’un bouclier : vous ne craindrez point de frayeurs qui surprennent durant la nuit (Ps. 90, 5) »
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 5 sur le psaume 90
1. « Veillez et priez, afin de ne point entrer en tentation (Marc. XIV, 38).» Vous savez de qui vient cet avertissement, et en quel temps il a été donné. Car ce sont des paroles que Notre-Seigneur a dites à ses apôtres, quand l’heure de sa Passion approchait. Or, considérez que c’était lui qui devait souffrir, non pas ses disciples : néanmoins ce n’était pas pour lui qu’il disait qu’il fallait prier, mais seulement pour eux. Aussi avait-il dit à Pierre : « Je vous déclare que Satan a demandé de vous cribler comme le froment : mais j’ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point; et un jour, lorsque vous serez converti, vous confirmerez vos frères (Luc. XXII, 31 et 32). » Si les Apôtres avaient tant à craindre pendant la passion de Notre-Seigneur, combien, mes frères, avons-nous plus de sujets de craindre lorsque nous sommes nous-mêmes au milieu des épreuves ? Veillez donc et priez pour ne point entrer dans la tentation : car de tous côtés vous êtes environnés de tentations. Voilà pourquoi nous lisons dans l’Écriture-Sainte : « Que la vie de l’homme sur la terre est un combat (Job. III, 1). » Si donc notre vie est pleine d’un si grand nombre de tentations, qu’on a sujet de l’appeler elle-même une tentation, il est clair que nous devons nous tenir sur nos gardes, et vaquer à la prière, avec assiduité, pour ne point succomber à la tentation. Voilà pourquoi, nous disons dans la prière que Notre-Seigneur nous a apprise : « Ne nous induisez pas en tentation. » Puisque vous êtes ainsi de toutes parts environnés et pressés, par la tentation, sa vérité vous couvrira d’un bouclier, afin que, si les ennemis vous attaquent de tous côtés, vous trouviez aussi de tous côtés une défense. Or, il est manifeste que le bouclier qui peut nous couvrir n’est autre qu’une protection spirituelle. C’est sa vérité qui nous environne, parce que celui qui nous a promis de nous soutenir est véritable et fidèle, et fait tout comme il le promet. « Dieu est fidèle, dit l’Apôtre, il ne souffrira point que vous soyez tentés au dessus de vos forces (I. Corinth. X, 13). »
2. La grâce de la protection divine est comparée à un bouclier, avec beaucoup de raison. Le bouclier est large et étendu par en haut, afin de couvrir la tête et les épaules, et étroit par en bas, afin d’être moins pesant, et principalement parce que les jambes, qu’on doit garder, offrent peu de largeur, et ne sont pas si facilement, blessées, et que d’ailleurs les blessures qu’on y peut recevoir ne sont pas si dangereuses. De même Jésus-Christ ne donne à ses soldats le secours des choses temporelles, qu’avec beaucoup de mesure et de parcimonie, et seulement autant qu’ils en ont besoin pour la conservation de ce corps, qui est comme les parties inférieures de l’âme : il ne veut point leur donner une abondance de biens temporels qui leur deviendraient un fardeau trop pesant. Il veut qu’ils se contentent, selon la parole de l’Apôtre (I Tim. VI, 8), d’avoir le vivre et le vêtement. Mais quant à l’âme, qui est la partie supérieure de notre être, il lui donne des biens spirituels en beaucoup plus grande étendue, et lui communique une abondance de grâces spirituelles. Et c’est pour cela que Notre-Seigneur dit dans l’Évangile : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tous les autres biens dont vous pouvez avoir besoin seront ajoutés à ceux-là (Matt. II, 33).» Il est certain qu’il entendait par là, le vivre et le vêtement, dont il venait de dire que nous ne devions point nous inquiéter.
Or, si Notre Père céleste nous donne l’un et l’autre avec une bonté toute paternelle; c’est pour deux raisons : c’est de peur que nous ne pensions qu’il est fâché contre nous, s’il nous les refuse, et qu’ainsi nous ne tombions dans le désespoir ; en second lieu, c’est de crainte que les inquiétudes excessives avec lesquelles nous rechercherons ces biens ne nuisent beaucoup aux exercices spirituels ; car si nous manquons, de ces biens, nous ne pouvons ni vivre ni servir Dieu. Mais plus ils sont réduits, mieux nous nous en trouvons.
3. « La vérité divine vous servira donc de défense et de bouclier. Vous n’aurez point de ces terreurs qui arrivent durant la nuit, vous ne craindrez point la flèche qui vole durant le jour, ni les entreprises qui se font dans les ténèbres, non plus que les attaques ouvertes et les démons du midi. » Ces paroles marquent quatre sortes de tentations, dont nous sommes assaillis et contre lesquelles nous avons besoin d’être couverts et environnés du bouclier du Seigneur : à droite et à gauche, devant et derrière. Car il faut que vous sachiez que jamais personne ne vivra sur la terre sans éprouver quelque tentation. Quand l’une cesse, on doit en attendre une autre avec assurance ; que dis-je avec assurance ? c’est bien plutôt avec crainte que je dois dire : et si nous demandons d’en être délivrés, ne nous promettons jamais, dans ce corps de mort, un repos entier et une parfaite liberté. Et il faut que nous considérions sur ce sujet que la bonté avec laquelle Dieu nous traite est si grande, que lorsqu’il souffre que nous soyons longtemps occupés par certaines tentations, c’est afin que nous échappions à d’autres plus périlleuses, et que lorsqu’il nous délivre promptement de certaines épreuves, c’est pour nous exercer par d’autres qu’il prévoit plus utiles pour nous.
Il faut que nous considérions quelles sont ces quatre tentations mais ce sera dans un autre discours. Je crois que ces tentations s’élèvent contre ceux qui se convertissent à Dieu dans le même ordre qu’ elles sont ici, et que, dans le combat spirituel, elles sont comme les chefs de toutes les autres tentations qui nous attaquent.
Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
– Cinquième sermon