Mars – Psaume 90 – 12
Mois de mars
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 12 sur le psaume 90
DOUZIÈME SERMON. « Parce qu’il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils vous porteront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre quelque pierre (Psal. XC, 11 et 12). »
1. Je vous ai dit hier, si vous vous en souvenez, que les voies des démons étaient la présomption et l’obstination, et je vous ai expliqué pourquoi je parlais ainsi. Je puis néanmoins encore, si vous le jugez nécessaire, vous faire connaître par une autre voie les sentiers de ces esprits de ténèbres. Car, bien qu’ils tâchent de nous les cacher par tous les moyens qu’il leur est possible, le Saint-Esprit nous montre en beaucoup de manières, en divers endroits de l’Écriture sainte, quels sont les sentiers des méchants. Nous y lisons que « les méchants marchent autour de nous (Psal., XI, 9).» Nous y voyons que leur prince « tourne de tous côtés cherchant quelqu’un qu’il dévore ( I Petr., V, 8) » et nous trouvons dans le livre de Job, que Satan, paraissant devant la majesté divine avec les enfants de Dieu, et étant interrogé d’où il venait, fut contraint de répondre : « J’ai fait le tour de la terre, et je l’ai parcourue en tous sens (Job I et XVII). » Disons donc que les voies du démon sont cette activité par laquelle il est comme dans un mouvement circulaire, dans une vraie circonvallation. C’est par haine contre nous qu’il erre autour de nous, et c’est par la malignité de son cœur qu’il est réduit à cette espèce de mouvement circulaire. Il s’élève toujours, et retombe toujours. Son orgueil monte toujours, et Dieu l’humilie toujours. Ne fait-il pas là véritablement un mouvement circulaire ? Celui qui marche ainsi en tournant sur lui-même, marche à la vérité, mais il n’avance pas, et ne fait aucun progrès. Malheur à l’homme qui imite ce mouvement circulaire, et ne renonce jamais à sa propre volonté. Si vous faites quelques efforts pour l’arracher à cette volonté propre, il vous semblera d’abord qu’il vous fuit; mais ce ne sera de sa part que déguisement et que tromperie, et il tendra toujours à retourner au point d’où il est parti. Il tient toujours à cette propre volonté, il fait comme s’il fuyait le vice, et cependant il demeure toujours attaché à sa propre volonté.
2. Si ce mouvement circulaire qui les caractérise est mauvais, l’autre est bien pire encore. Car si le premier mouvement est principalement ce qui fait qu’ils sont démons, dans quelles dispositions pensez-vous, mes frères, que ces ennemis superbes descendent vers les misérables hommes et rôdent autour d’eux ? Considérez de quelle manière ces auteurs de toute impiété tournent autour de nous. Leurs regards orgueilleux se portent sur tout ce qui est élevé. Néanmoins leur curiosité maligne va chercher aussi les choses les plus basses, mais ce n’est qu’afin de s’élever davantage, ce n’est que pour contenter leur orgueil et s’élever en avilissant les hommes, et en les tenant comme sous leurs pieds par le péché, selon ce qui est écrit : « Pendant que l’impie s’enorgueillit, le pauvre tombe dans la désolation (Psal. IX, 2). » Avec quelle émulation détestable et pernicieuse, les mauvais anges imitent-ils donc les voies des bons anges qui montent et qui descendent aussi ? Ils montent pour contenter leur horrible vanité : ils descendent pour satisfaire leur ardente jalousie. Ils ne descendent vers nous que par une insatiable cruauté, et ils ne s’élèvent au-dessus de nous que par une vanité mensongère, parce qu’ils sont incapables de miséricorde et de vérité, comme je vous l’ai dit hier. Mais si d’un côté nous devons craindre ces esprits malins qui descendent vers nous pour nous perdre, de l’autre côté nous avons un grand sujet de rendre grâces à Dieu de ce que, par son ordre, les bons anges descendent aussi vers nous pour nous secourir et pour nous garder dans toutes nos voies. C’est peu, non seulement pour nous garder et nous secourir, mais encore, comme dit le Prophète, « pour nous porter entre leurs mains, de peur que nous ne heurtions nos pieds contre quelque pierre. »
3. Combien, mes frères, Dieu nous donne-t-il d’instructions, d’avertissements, de consolations dans ces quelques mots de l’Écriture ? Quelles autres paroles pouvons-nous trouver, dans tous les psaumes, qui consolent mieux ceux que l’affliction abat, avertissent plus fortement ceux qui se négligent, instruisent davantage les ignorants ? C’est pour cela que la divine providence a voulu que les fidèles répétassent les versets de ce psaume, principalement dans ce saint temps de carême. Et la raison qui a porté l’église à nous faire ainsi redire ce psaume, semble n’être venue que de ce que Satan a eu l’audace d’en employer les paroles pour tenter Notre Seigneur. Ainsi cet esprit méchant se trouve être utile aux enfants de Dieu, contre son intention. Car qu’y a-t-il qui lui puisse déplaire davantage, et nous donner plus de joie que de voir sa propre malice tourner à notre bien. « Dieu a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. » Que les miséricordes infinies de Dieu nous obligent à chanter ses louanges et à annoncer ses merveilles aux enfants des hommes. Que l’on dise dans toutes les nations que le Seigneur a fait de grandes choses pour témoigner son amour à ses serviteurs. Seigneur, qu’est-ce que l’homme, pour que vous vous soyez fait connaître à lui et comment daignez-vous en faire l’objet de votre amour ? Vous ouvrez votre cœur, vous songez en père à tous ses besoins, et vous avez soin de lui. Et pour comble de bienfaits, vous lui envoyez votre Fils unique, vous lui envoyez votre esprit et vous lui promettez de lui faire voir votre face. Et afin de ne rien omettre dans les cieux de tout ce qui peut nous intéresser, vous envoyez pour nous, sur la terre, les esprits bienheureux pour nous servir en toutes rencontres, pour nous garder de votre part, pour nous conduire et nous éclairer dans toutes nos voies. De sorte que vous ne vous êtes pas contenté que ces esprits fussent vos anges, vous avez encore voulu qu’ils fussent les anges même des plus petits d’entre les hommes. En effet, il est dit : « leurs anges contemplent toujours le visage de mon Père ( Matth. XVIII, 10). » Ainsi ces créatures excellentes et heureuses font l’office de médiateurs entre vous et nous, en sorte que, comme ils nous sont envoyés de votre part, nous pouvons aussi dire qu’ils vous sont envoyés de la nôtre.
4. « Il a commandé à ses anges de vous garder. » C’est véritablement un merveilleux effet de sa bonté, et un des plus grands témoignages de son amour que nous puissions recevoir. Considérez, en effet, attentivement avec moi quel est celui qui donne cet ordre, à qui et pour qui il le donne, et ce qu’il ordonne. Représentons-nous l’importance de ce commandement que reçoivent les anges de Dieu. Ayons soin de ne l’oublier jamais. Qui est donc celui qui l’a fait ? A qui les anges appartiennent-ils ? A qui, obéissent-ils ? De qui exécutent-ils la volonté ? le Prophète nous l’apprend : c’est à celui qui a commandé à ses anges de nous garder dans toutes nos voies. Ils sont si prompts à obéir à ce commandement, que même ils nous portent entre leurs mains. C’est donc la souveraine Majesté de Dieu qui commande aux anges et à ses anges à ces esprits si élevés, si heureux, si proches de lui, si unis à lui, si attachés à lui, ses vrais amis et ses familiers : et cependant c’est pour nous qu’il leur commande de descendre sur la terre. Ah, qui sommes-nous ? Seigneur, qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui ? Qu’est-ce que le Fils de l’homme, pour que vous en teniez quelque compte ? Comme si l’homme depuis le péché était autre chose que corruption et que pourriture, comme s’il n’était pas semblable à un ver de terre.
Mais quel est le commandement que Dieu a fait pour nous à ses anges ? Leur a-t-il ordonné contre nous des choses fâcheuses ? Leur a-t-il commandé de montrer leur puissance contre une feuille que le vent emporte, et de poursuivre une feuille desséchée ? d’empêcher les méchants de voir la gloire de Dieu ? Cela doit être infailliblement commandé quelque jour, mais ce ne l’est point encore. Ne vous éloignez point du secours du Très-Haut. Demeurez dans la protection du Dieu du ciel, pour ne donner jamais sujet à sa justice de faire ce terrible commandement contre vous. Il est hors de douté que le Dieu du ciel ne fera point de commandements à ses anges qui soient à craindre, et qui ne soient plutôt favorables à ceux qu’il aura protégés. Et s’il est quelque chose dont l’exécution ne serait pas avantageuse à ses élus, il diffère de l’ordonner, afin que tout leur soit favorable. Et nous voyons dans l’Evangile, que, comme les serviteurs du père de famille étaient prêts à aller arracher le mauvais grain qui avait été semé sur le bon, cet homme plein de prévoyance leur dit : « Laissez croître les mauvaises plantes avec les bonnes jusqu’au temps de la moisson, de crainte qu’en arrachant les mauvaises herbes vous n’arrachiez aussi le froment. (Matth. XIII, 30). » Mais, comment le bon grain pourra-t-il se conserver jusqu’à la récolte ? C’est précisément l’objet. du commandement que Dieu fait à ses anges pour le temps où nous sommes.
5. «Il a donc commandé à ses anges de vous garder. » O vous qui êtes véritablement le froment qui croit au milieu de l’ivraie, le bon grain mêlé avec la paille, et le lis entre les épines. Rendons grâces, mes chers frères, rendons grâces de tout cœur à la bonté de Dieu, et pour vous et pour moi. Il nous a mis entre les mains un dépôt infiniment précieux, le fruit de sa croix, le prix de son sang. Voilà pourquoi, peu content de cette garde si peu utile, si faible, si insuffisante dont seulement nous étions capables, il a voulu établir sur les murailles de Jérusalem des sentinelles plus sûres que nous. Ceux-là mêmes qui semblent être comme des murailles, ou même comme des colonnes et des piliers au milieu des murailles, sont ceux qui ont le plus besoin que Dieu prenne soin de les faire garder par ses anges.
6. « Il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. » Combien cette parole doit-elle vous porter au respect, vous donner de dévotion, vous inspirer de confiance ? vous porter au respect pour la présence de votre bon ange : donner de la dévotion à cause de sa bienveillance pour vous et vous inspirer de la confiance, puisqu’il prend soin de vous garder. Faites une attention particulière à toutes vos actions, puisque les anges, comme il leur a été commandé, vous sont présents dans toutes vos voies.
En quelque lieu que vous alliez, en quelque recoin que vous soyez, ayez toujours un grand respect pour votre bon ange. N’ayez pas la hardiesse de faire en sa présence ce que vous ne voudriez pas faire, si je vous voyais. Doutez-vous que cet esprit que vous ne voyez pas soit présent à ce que vous faites ? Combien auriez-vous de retenue si vous l’entendiez, si vous le touchiez, si vous le sentiez autour de vous ? Or, remarquez que ce n’est pas seulement par les yeux qu’on est assuré de la présence des choses. Toutes choses ne peuvent pas être vues quoique présentes et corporelles. Combien donc les choses spirituelles sont-elles plus éloignées de la portée de nos sens, et combien est-il plus nécessaire d’employer les motifs spirituels pour les chercher et pour les trouver ? Si vous consultez la foi, ne vous prouve-t-elle pas que vos bons anges vous sont toujours présents ? Oui, je le soutiens, la foi vous le prouve, puisque l’Apôtre nous enseigne que cette foi est une preuve et une conviction des choses qui ne nous paraissent pas. (Hebr. XI, 1) Il est donc indubitable que nos bons anges nous sont toujours présents; et que non-seulement ils sont avec nous, mais qu’ils n’y sont que pour nous. Ils sont près de nous, pour nous protéger et pour nous rendre service. Que rendrez-vous au Seigneur, pour toutes les choses qu’il vous a données ? Car à lui:seul nous devons rapporter la gloire de notre conservation, attendu que c’est lui qui a commandé à ses anges de nous garder. C’est lui qui nous les a donnés. Tout don parfait ne peut venir que de lui. (Jac. 1, 17.)
7. Mais s’il a commandé à ses anges de nous garder, nous n’en sommes pas moins obligés de leur témoigner notre reconnaissance pour l’empressement avec lequel ils obéissent à l’ordre qu’ils ont reçu, et prennent soin de nous, dans le besoin si grand et si continuel que nous avons de leur assistance. Ayons donc une dévotion et une reconnaissance particulière envers de pareils gardiens, ne manquons pas à les aimer, à les honorer, autant que nous le pouvons, autant que nous le devons. Rapportons néanmoins et témoignons toujours tout l’amour devant tout le respect que nous leur portons, à celui dont ils tiennent tout ce qui peut nous donner sujet de les aimer et de les honorer, et de qui nous tenons nous-mêmes tout ce qui peut nous faire mériter quelque amour et quelque estime. Sans doute lorsque l’Apôtre a écrit, qu’il faut rendre à Dieu seul l’honneur et la gloire (I Tim. 17), » nous ne devons pas croire qu’il ait voulu contredire le Prophète qui nous dit qu’on doit honorer tout particulièrement les amis de Dieu. Il s’est exprimé en cette circonstance comme il l’a fait quand il, nous a dit : « Ne soyez redevables de rien à personne sinon de l’amour que nous nous devons toujours les uns aux autres (Rom. III, 8). » Il n’a pas eu l’intention de nous porter par ces paroles à renier nos autres devoirs envers le prochain, puisqu’il dit ailleurs : « Il faut rendre l’honneur à qui l’honneur appartient (Rom. III, 8). » Ainsi pour les autres devoirs de la vie, servons-nous d’une comparaison pour entendre plus parfaitement quel a été le sentiment de cet Apôtre et quel avertissement il a voulu nous donner. Par exemple, voyez les étoiles, elles disparaissent au milieu des rayons du soleil. Pensons-nous que, pour cela ces astres aient disparu, et que leur lumière soit éteinte ? Nullement. Mais nous savons qu’elles sont comme cachées par une plus grande lumière que la leur. Ainsi l’amour que nous devons à Dieu, surmontant tous nos autres devoirs, doit régner en nous, comme s’il était seul, en sorte que tout ce que nous devons aux créatures soit tout à fait dépendant de cet amour souverain, et que nous fassions toutes choses par cet amour.
Il faut pareillement que l’honneur que nous devons à Dieu prévale sur tous les autres honneurs, en sorte que Dieu seul, soit honoré non-seulement par dessus, mais encore dans toutes les créatures qui sont l’objet de notre vénération. Il en est de même de l’amour que nous devons à Dieu; quelle place en effet a-t-il laissée aux autres amours, puisqu’il veut que nous l’aimions de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces ? Il faut donc, mes frères, que ce soit en Dieu que nous aimions ses anges, avec une dévotion particulière, comme devant être un jour nos cohéritiers et se trouvant, dès maintenant, placés auprès de nous par le Père éternel, en qualité de guides et de gardiens. Car dès maintenant nous sommes les enfants de Dieu, bien qu’on ne puisse pas juger encore de ce que nous serons un jour, avec lui dans la gloire, attendu que nous sommes à présent comme des mineurs qui sont sorts la conduite de leurs tuteurs et de leurs gouverneurs, et que, en cet état, comme dit l’Apôtre, nous ne différions point des serviteurs.
8. Cependant, quoique nous soyons encore faibles comme des enfants à l’âge de leur minorité, nous avons un chemin très-grand, non-seulement très-grand, mais très-difficile et très-périlleux, à faire. Toutefois, que devons-nous craindre sous de tels gardiens ? Ils ne peuvent être ni vaincus ni trompés par nos ennemis, et ils peuvent encore moins nous tromper, puisque leur ministère est de nous garder de toutes surprises dans tontes nos voies. Ils sont fidèles; ils sont prudents; ils sont puissants : que craignons-nous ? Suivons-les seulement. Attachons-nous à eux, et nous demeurerons sous la protection du Dieu du ciel. Considérez combien leur protection, combien leur vigilance à nous garder dans toutes nos voies nous est nécessaire: « Ils vous porteront, dit le Prophète, entre leurs mains, de peur que vous ne blessiez votre pied contre quelque-pierre. » Si vous trouvez que ce n’est pas encore beaucoup d’être protégés contre l’achoppement des pierres du chemin, remarquez la suite: « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon. » Combien est-il nécessaire à un enfant qui marche parmi tant de périls d’être conduit, d’être soutenu et porté ? Aussi le Prophète dit-il : « Ils vous porteront entre leurs mains.» Ils vous garderont donc dans toutes vos voies, et vous conduiront comme on conduit des enfants lorsqu’ils sont dans un chemin où ils peuvent marcher; pour le reste, ils ne souffriront pas que vous soyez tentés au delà de vos forces, dans les rencontres trop difficiles et trop dangereuses, ils vous prendront dans leurs mains pour vous faire franchir les difficultés. Avec quelle facilité celui qui a le bonheur d’être porté par de telles mains, surmonte-t-il les obstacles ? Car, comme dit le proverbe, il est facile de nager quand on nous soutient sur l’eau.
9. Toutes les fois donc, que vous vous sentez pressés par quelque violente tentation, et menacés par quelque grande épreuve, invoquez l’ange qui vous garde, qui vous conduit, qui vous assiste dans vos besoins et dans vos peines. Ayez recours à lui, et dites-lui : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. Il ne dort ni ne sommeille. Si quelquefois il semble fermer les yeux, pour un temps, sur le danger où vous êtes, ce n’est qu’afin que vous ne soyez pas en état de vous retirer de ses mains, et de tomber plus dangereusement, en ignorant que c’est lui qui vous soutient. Les mains des anges sont spirituelles, et les secours qu’ils donnent le sont aussi, et chaque élu reçoit différemment ces secours, selon les divers périls où il se trouve, et les difficultés qui se présentent, périls et difficultés que je compare à des monceaux de pierre qui se rencontreraient sur le passage des voyageurs et qui pourraient les accabler ou les arrêter dans leur route. Je vais vous représenter les tentations que j’estime les plus communes, et je pense qu’il n’y en a guère parmi vous qui ne les aient éprouvées. L’un est tourmenté, ou par une infirmité corporelle, par quelque affliction temporelle, ou se voit tomber dans la langueur, par la paresse et la lâcheté de son esprit, et par une sorte de défaillance de l’âme. En cet état, il commence à être tenté au dessus de ses forces et il ne tardera pas à se heurter et à se blesser contre la pierre (Isa. VIII, 14), si personne ne le soutient. Quelle est cette pierre ? J’entends, par cette pierre d’achoppement et de scandale, celle contre laquelle se blessent tous ceux qui la heurtent du pied, et qui brise ceux sur lesquels elle tombe; c’est-à-dire, contre la pierre angulaire, choisie et précieuse, qui n’est autre que le Seigneur Jésus. Se heurter et se blesser à cette pierre, ce n’est autre chose que de murmurer contre lui, et de se scandaliser faute de courage, au sein des tempêtes et des agitations de cette vie. Celui donc qui a commencé de perdre ainsi courage, et qui est sur le point de se heurter contre la pierre, a besoin du secours, de la consolation et de la main protectrice des anges. Et celui qui murmure et qui blasphème, vient se heurter contre cette pierre, et se blesser lui-même, mais ne blesse pas celui contre lequel il va se heurter avec furie.
10. Je me figure qu’il y a des hommes qui sont quelquefois soutenus par les anges, comme s’ils étaient portés par eux dans leurs deux mains : en sorte, qu’ils passent par les dangers et par les tentations qu’ils craignaient le plus, sans presque s’en apercevoir, et s’étonnent beaucoup ensuite de la facilité avec laquelle ils ont triomphé de ce qui leur avait paru d’abord plein de difficulté. Voulez-vous savoir ce que j’entends par ces deux mains des anges ? J’entends par-là, deux connaissances et deux vues que ces esprits de lumière nous donnent pour nous fortifier et nous encourager dans les épreuves, c’est-à-dire, d’un côté la connaissance et la vue de la brièveté des afflictions de cette vie, et, de l’autre, la connaissance et la vue de l’éternité des récompenses, qui nous font comprendre et sentir profondément dans nos cœurs, que c’est un moment bien court et bien léger d’épreuves en cette vie, qui produit en nous le poids incomparable d’une éternité de gloire. Et qui serait assez incrédule pour douter que ces impressions si avantageuses et si saintes, soient produites en nous par les bons anges, puisqu’il est certain que les impressions malignes le sont par les mauvais. Prenez donc l’habitude, mes frères, de vous entretenir avec vos bons anges dans une familiarité particulière. Pensez à eux; adressez-vous à eux, par des prières ferventes et continuelles, puisqu’ils sont toujours près de vous pour vous défendre et vous consoler.
Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
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