Août – Psaume 90 – 16
Mois d’août
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 16 sur le psaume 90
SEIZIÈME SERMON. « Il a crié vers moi, et je l’exaucerai. Je suis avec lui dans l’affliction (Psal. XC, 15).»
1. « Il a crié vers moi et je l’exaucerai. » Voilà des paroles de paix, une alliance digne de la bonté de Dieu; un vrai traité de miséricorde et de compassion. « Il a espéré en moi et je le délivrerai. » Il a connu mon nom et je le protégerai. Il m’a invoqué, et je l’exaucerai. Dieu ne dit pas : il était digne de ma grâce, il était juste et droit, ses mains étaient innocentes et son cœur était pur, voilà pourquoi je le délivrerai, je le protégerai et je l’exaucerai. S’il s’était exprimé ainsi, qui ne tomberait dans le désespoir ? Qui peut se flatter d’avoir le cœur pur ? Mais, Seigneur, puisque, vous avez tant de clémence et tant de miséricorde, je mets en vous toute ma confiance ; la loi que vous vous êtes donnée fait tout mon soutien en votre présence. Quelle loi pleine de douceur que celle qui n’exige point d’autre mérite, pour être exaucé, que le cri et l’ardent désir de celui qui demande. « Il est bien juste que Dieu n’exauce pas celui qui ne crie point vers lui, ne lui adresse aucune prière ; ou ne le prie qu’avec tiédeur et négligence. Or pour Dieu, le grand cri de l’âme qui se fait entendre de lui, c’est un ardent désir ; au contraire l’intention froide et languissante est, pour lui, comme une parole si faible, qu’il ne saurait l’entendre. Comment pourra-t-elle pénétrer les nuées et se faire écouter dans le ciel ? L’homme est averti dès les premières paroles de la prière qu’il fait tous les jours, que le père auquel il adresse ses demandes est dans le ciel, afin qu’il sache qu’il doit crier de toutes ses forces pour faire monter sa prière vers le ciel par l’effort puissant de son esprit, comme une flèche qu’il décoche. Dieu est un esprit, et il est nécessaire que ceux qui désirent que leurs cris parviennent jusqu’à lui, crient en esprit et en vérité (a). Car, de même que Dieu ne regarde point le visage de l’homme, comme font les hommes, mais considère seulement le cœur, ainsi il écoute plutôt la voix intérieure du cœur que la voix sensible du corps. Voilà pourquoi le Prophète lui dit: « Vous êtes le Dieu de mon cœur. (Psal. LXXII, 26). » C’est après cela aussi que Moïse, sans prononcer aucune parole, est néanmoins intérieurement entendu de Dieu, selon le témoignage qu’il lui en donne en lui disant : « Pourquoi criez-vous vers moi. (Exod. XIV,15) ? »
(a) Il se rencontrait ici une grave solution de continuité, car depuis ces mots : « il ne dit pas, etc. », jusqu’à ceux-ci. « S’il s’était exprimé ainsi, etc. » la plupart des éditions précédentes avaient omis les phrases que nous avons rétablies d’après les manuscrits de Corbie, de Cîteaux, et d’autres encore.
2. « Il a crié vers moi, et je l’exaucerai. » Ce n’est pas sans sujets que le fidèle crie ainsi vers Dieu. Il pousse un grand cri parce que ses besoins sont grands. Mais en criant de toutes les forces de son âme, que demande-t-il, sinon d’être consolé, délivré, établi dans la gloire ? C’est pour ses propres besoins qu’il crie ; comment, en effet, serait-il exaucé dans ces vœux-là, s’il en avait fait d’autres ? « Je l’exaucerai, dit le Seigneur. » De quelle manière, Seigneur, et en quoi l’exaucerez-vous ? « Je serai avec lui lorsqu’il sera dans l’affliction je l’en tirerai et le remplirai de gloire. »
Il me semble que je puis avec raison rapporter ces trois cris de la prière aux trois grands et saints jours que nous devons bientôt célébrer, car il s’est soumis pour nous à l’affliction et à la douleur, lorsqu’il a souffert le supplice de la croix, malgré son ignominie, en vue de la joie éternelle qui lui était proposée (Luc. XXII). Ce fut alors que les choses qu’il devait accomplir sur la terre furent terminées, comme il l’avait prédit avant sa mort. Et lorsqu’il eût dit en mourant : « Tout est consommé », il entra dans son repos, mais la gloire de la résurrection ne se fit point attendre, le troisième jour, le Soleil de justice se leva pour nous dès le matin, et sortit du tombeau. En sorte que le fruit de l’affliction qu’il avait soufferte, et la vérité de sa délivrance parurent dans la gloire de sa résurrection. Ces trois choses qui sont arrivées en Jésus-Christ dans l’espace de trois jours doivent aussi nous arriver. « Je suis avec lui dans la tribulation, » dit le Seigneur. Quand se trouve-t-il ainsi avec nous ! sinon le jour de nos tribulations ? le jour où nous portons notre croix ? alors que s’accomplit cette parole du Seigneur à ses disciples : « Vous aurez des traverses et des angoisses dans le monde (Joan. XVI, 33). » et celle de son Apôtre : « tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffriront des persécutions. (II Tim. III, 12). » Car notre délivrance pleine et parfaite ne pourra pas arriver avant le jour de notre mort, parce que les enfants d’Adam sont réduits à porter un joug pesant et fâcheux depuis le jour qu’ils sortent du ventre de leur mère, jusqu’au jour où ils rentreront dans le sein de la terre, la mère commune de tous les hommes. C’est alors seulement, dit le Seigneur, que je le délivrerai, et le monde ne pourra plus faire souffrir quoi que ce soit à son corps ni à son âme. Pour ce qui est de la gloire qui l’attend encore, elle ne lui sera donnée qu’à la fan des temps, le jour de la résurrection, alors que ce corps, maintenant dans l’ignominie, comme un grain qui se pourrit dans la terre, renaîtra dans la gloire.
3. Comment savons-nous que Dieu est avec nous dans l’affliction ? C’est précisément parce que nous y sommes maintenant. Car qui pourrait soutenir les maux de cette vie ; qui pourrait durer et subsister avec eux sans son assistance particulière ? Nous devons estimer, mes chers frères, que nous avons toute sorte de sujet de nous réjouir lorsque nous éprouvons des calamités nombreuses : non-seulement, parce que nous ne devons entrer dans le royaume de Dieu que par beaucoup de souffrances, mais, encore parce que le Seigneur est proche de ceux dont le cœur est dans l’affliction. (Act. XXII, 4). « Si je marche au milieu des ombres de la mort, dit le Prophète (Psal. XXXIII, 19), je ne craindrai point les maux qui m’arriveront, parce que vous êtes avec moi. (Psal. XXII, 4). » Voilà donc comment il est avec nous tous, les jours de notre vie jusques à la consommation des siècles. Mais quand serons-nous avec lui ? Ce sera quand nous serons transportés en l’air pour aller, comme dit l’Apôtre, au devant de Jésus-Christ, et que nous demeurerons toujours avec lui. Quand sera-ce que nous nous verrons dans la gloire avec ce Sauveur ? Ce sera lorsqu’il viendra se montrer, lui qui est notre vie. Mais en attendant il faut que nous demeurions cachés, que l’affliction précède notre délivrance, et que notre délivrance précède notre glorification. Ecoutez le langage de celui qui est délivré : « Mon âme, tournez-vous vers votre repos, puisque le Seigneur vous a comblée de ses bienfaits : il a retiré mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds de la chute. Je l’arracherai et le glorifierai. (Psal. CXIV, 7). » Seigneur, heureux l’homme que vous daignez consoler et soutenir en cette vie, vous qui êtes son soutien dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Mais combien est-il plus heureux lorsque vous l’avez effectivement délivré et que vous l’avez exempté de tant de maux auxquels il s’est exposé. Combien est-il plus heureux lorsque vous l’avez dégagé du filet des chasseurs, lorsque vous l’avez retiré du monde, afin que la malice ne changeât pas son esprit, et que les déguisements et les artifices ne pussent surprendre et tromper son âme ? Il sera néanmoins encore infiniment plus heureux lorsque vous l’aurez tout à fait élevé et uni à vous, rempli des biens de votre sainte maison, et mis dans un état conforme et semblable à celui de votre gloire.
4. Et maintenant, mes chers enfants, élevons vers le ciel le cri de nos cœurs, et notre Dieu aura pitié de nous. C’est vers le ciel que nous devons faire monter nos cris, puisque c’est sous le ciel, comme observe le sage, qu’on ne trouvera que douleur et travail, vanité et affliction d’esprit. (Jerem. XVII, 9). D’ailleurs le cœur de l’homme est méchant et impénétrable : ses sens ne se portent qu’au mal. Il n’y a nul bien en moi, c’est-à-dire en ma chair. La loi du péché habite en elle, elle a toujours des désirs contraires à l’esprit. Enfin mon propre cœur me manque, et mon corps est dans la nécessité de mourir à cause du péché. Les peines qui se succèdent les unes aux autres suffisent à remplir chaque jour. Le monde n’est que méchanceté et corruption. Combien le siècle présent est-il injuste ? Combien voyous-nous que l’âme est combattue par les désirs de la terre? Nous sommes attaqués de tous les côtés par les princes de ce monde qui règnent dans les ténèbres, par les esprits mauvais, les puissances de l’air et surtout par le serpent le plus rusé de tous nos ennemis. Voilà tous les finaux que nous avons à craindre sous le soleil. Voilà toutes les misères qui sont sous le ciel. Où trouvez-vous un refuge contre tous ces maux et contre toutes ces misères ? Où espérez-vous du soulagement ? Où prétendez-vous trouver du secours ? Si vous le cherchez en vous, vous ne trouvez qu’un cœur détaché, et vous-même, vous vous trouvez livré à l’oubli, comme si votre cœur était mort. Si vous le cherchez plus bas que vous, vous ne trouverez que le corps qui est susceptible de se corrompre et qui appesantit votre âme. Enfin, si vous le cherchez dans toutes les choses de la terre qui vous environnent, vous trouverez aussi qu’elles ne sont capables que d’accabler ceux qui s’occupent des soins multipliés de cette vie (Sag. IX, 15). Cherchez donc un refuge au dessus de vous. Mais prenez garde, en vous élevant, de passer au delà de la troupe des esprits vaniteux. Ils savent que tout ce que nous avons de parfait et de bon, ne saurait venir que d’en haut : voilà pourquoi ils se tiennent entre le ciel et la terre comme des voleurs en embuscade. Faites donc en sorte de passer au delà de ces esprits méchants qui travaillent, avec une malice infatigable, pour nous empêcher de nous élever jusque dans la sainte cité. S’ils vous blessent, s’ils vous outragent, imitez Joseph qui laissa son manteau, entre les mains de l’adultère Égyptienne (Gen. XXXIX, 15). Abandonnez même votre dernier vêtement, comme le jeune homme dont il est parlé dans l’Evangile (Marc. XIV, 52), qui s’échappa nu des mains de ceux qui le tenaient. Dieu n’abandonna-t-il pas au démon le dernier vêtement de Job, et après cela ne lui donna-t-il point le pouvoir de lui nuire dans ses biens et même de l’affliger en son corps, en se contentant de lui dire : conserve seulement sa vie ? Élevez donc votre cœur vers Dieu, poussez le vers lui, que vos cris et vos désirs ne tendent qu’à lui, que votre vie, que toutes vos espérances soient dans le ciel. Criez vers le ciel pour être exaucé, et que votre père, qui est dans le ciel, vous envoie, de son sanctuaire, le secours dont vous avez besoin, et que vous receviez de la céleste Sion, aide et protection, que Dieu vous soutienne dans l’affliction, vous arrache aux épreuves et vous glorifie, enfin, dans la nouvelle vie de la résurrection. Ces choses sont grandes à la vérité ; mais vous êtes grand aussi, vous qui nous les avez promises. Nous les espérons de vos promesses, et nous osons dire, avec l’Église : Si nous crions vers vous avec un cœur plein de confiance, vous nous devez ce que nous vous demandons à cause de vos promesses. Ainsi soit-il.
Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
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