Avril – Qu’ils soient avec moi
Mois d’avril
« Qu’ils soient avec moi»
Ecoutons Guerric d’Igny
Sermon pour l’Ascension – 1-2
« Père, quand j’étais avec eux, je les gardais en ton nom ». Le Seigneur prononça cette prière la veille de sa passion. Mais il n’est pas hors de propos de l’appliquer au jour de l’Ascension, au moment où il allait quitter définitivement ses petits enfants qu’il confiait à son Père.
Lui qui, au ciel, a créé, enseigne et dirige la multitude des anges, il s’était associé sur la terre une toute petite troupe de disciples pour les instruire par sa présence dans la chair, jusqu’au moment où, leurs facultés ayant quelque peu grandi, ils seraient capables d’être conduits par l’Esprit. Grand lui-même, il aimait ces tout-petits d’un grand amour : il voyait ceux qu’il avait arrachés aux habitudes du monde, renoncer à tout espoir du siècle et ne tenir qu’à lui seul. Pourtant, aussi longtemps qu’il voulut vivre avec eux corporellement, il ne leur prodigua pas tellement les marques de son affection ; il se montra avec eux plus ferme que tendre, comme il convient à un maître et à un père.
Cependant, lorsque le moment fut venu de les quitter, il sembla vaincu par la tendre affection qu’il leur portait, et ne put leur dissimuler l’abondance de sa douceur, qu’il leur avait cachée jusque-là. D’où ces mots : « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout ». Car » il répandit sur ses amis presque toute l’intensité de son amour, avant de se répandre lui-même comme de l’eau pour ses amis. Il leur livra alors le sacrement de son corps et de son sang et en institua la célébration. Je ne sais ce qu’il faut admirer le plus : sa puissance ou sa charité, lorsqu’il inventa cette nouvelle manière de demeurer avec eux pour les consoler de son départ. Malgré l’éloignement apparent de son corps, il allait demeurer non seulement avec eux, mais en eux, par la vertu du sacrement.
À ce moment encore, après une exhortation prolongée, il les recommanda au Père et, les yeux levés au ciel, il dit, entre autres choses : « Père, quand j’étais avec eux, je les gardais en ton nom, et aucun d’eux ne s’est perdu, sauf le fils de perdition. Mais maintenant je viens à toi ; garde en ton nom ceux que tu m’as donnés. Je ne te prie pas de les retirer du monde mais de les garder du mal », et la suite, que nous n’avons pas à rappeler ici, et encore moins à expliquer. Cependant, comme le suggère le texte cité, cette prière se résume en trois points qui constituent un résumé du salut et même de la perfection, si bien qu’on ne peut rien y ajouter : à savoir, que les disciples soient gardés du mal, sanctifiés dans la vérité et glorifiés avec lui. « Père, dit-il, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, pour qu’ils contemplent ta gloire ».
Heureux sont-ils, ceux pour qui plaide le juge lui-même ils ont pour intercesseur celui qui doit être adoré avec autant d’honneur que le Dieu à qui il adresse sa prière. Le Père ne lui refusera pas le souhait de ses lèvres, car il partage avec lui une seule volonté et un seul pouvoir, étant un seul Dieu. Tout ce que demande le Christ s’accomplira nécessairement, car sa parole est puissante et sa volonté efficace. Pour tout ce qui existe, « Il a dit et ce fut fait, il a commandé et ce fut créé ». « Je veux, dit-il, que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi ». Quelle sécurité pour les croyants, si du moins ils ne rejettent pas la grâce qu’ils ont reçue ! Car cette assurance n’est pas offerte aux seuls apôtres ou à leurs compagnons, mais à tous ceux qui par leur parole croiront à la Parole de Dieu : « Je ne prie pas pour eux seulement, dit-il, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi ».
Sermon pour l’Ascension – 1-2
Texte intégral
Qui est Guerric d’Igny – Abbé cistercien (vers 1080 – 1157)
La naissance de Guerric se situe entre 1070 et 1080 à Tournai, donc 10 à 20 ans avant celle de Bernard. Il reçoit son éducation à l’école cathédrale de Tournai : humanité, dialectique et théologie, ce qui lui vaudra un talent d’écrivain bien formé et développé. Sans doute bénéficiera-t-il de l’enseignement d’un maître fameux, Odon de Cambrai. Sans doute aussi sera-t-il chanoine de la cathédrale et chargé de l’école cathédrale. Mais, en 1116, il décide de mener la vie érémitique et se retire dans une petite maison, à proximité de l’église. Il entend parler de saint Bernard par deux de ses amis et visite Clairvaux en 1120, sans avoir l’intention d’y rester. Mais Bernard qui reconnaît en lui l’étoffe d’un bon moine, le presse d’entrer. Le voici novice à Clairvaux, un novice plus âgé que son abbé, et sur le plan humain, doté de plus d’expérience et de maturité. Guerric reste 13 ans à Clairvaux, période qui coïncide avec le plein épanouissement des dons de Bernard et sa meilleure production littéraire. Puis vers 1138, il est envoyé à Igny, en Champagne, qui a été fondée en 1128, et il en devient abbé. Il a environ 60 ans. Sa mauvaise santé le rend incapable de mener la vie commune et de prendre sa part du travail manuel. Il le regrette, car il voit dans cette observance du travail des mains une des voies où l’on rencontre Jésus. Sous l’abbatiat de Guerric, Igny prospère, les vocations arrivent nombreuses. Pourtant c’est uniquement à son œuvre, à ses sermons que sera due l’influence postérieure de Guerric qui meurt en 1157. Nous n’avons de Guerric que le recueil de ses sermons. Tous, sauf le dernier, ont pour sujet les fêtes de l’année liturgique. Guerric y insiste sur les mystères liturgiques et sur la formation du Christ en l’âme de ceux qui y participent. En maints endroits, il reprend l’idée origénienne de la conception et de la naissance du Christ en l’âme. En recevant les sacrements et en imitant le Seigneur, nous le faisons naître en nous. L’âme devient alors « Mère du Christ », et Celui-ci nous donne la vraie vie en communiquant l’Esprit qui procède du Père et de lui.
Voir également la page « Quelques auteurs cisterciens »