Juillet – Psaume 90 – 15
Mois de juillet
Ecoutons Saint Bernard – Sermon 15 sur le psaume 90
QUINZIÈME SERMON. « Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai : je le protégerai, parce qu’il a connu mon nom (Psal. XC, 14). »
1. «Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous, soulagerai, dit Notre Seigneur. Mettez mon joug sur vous : et vous trouverez le repos de vos âme, parce que mon joug est doux et mon fardeau léger. (Math. XI, 28.) » Il invite ceux qui sont accablés de travail à venir chercher du soulagement, et ceux qui sont chargés à venir prendre du repos. Toutefois, il ne décharge pas pour cela ceux qui vont à lui de toute sorte de fardeau et de travail. Il change plutôt leur fardeau et leur travail en un autre, une charge pesante en une légère, un joug insupportable en un joug infiniment doux, dans lesquels on ne trouve que rafraîchissement et repos. Et si d’abord cela ne vous paraît pas, on reconnaît pourtant bientôt qu’il en est ainsi. Sans doute l’iniquité est un fardeau plus pesant que le plomb dont il est parlé dans un prophète. C’était sous cette charge pesante que gémissait le pécheur qui disait : « Mes iniquités s’élèvent au dessus de ma tête : (Zach. V, 7,) et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau pesant. (Psal. XXXVII, 5). »
Quel est donc ce fardeau de Jésus-Christ, si léger et si doux ? Selon moi, ce n’est autre chose que le fardeau de ses bienfaits et de ses grâces. O qu’il est doux et aimable ! Mais pour ceux qui le sentent, pour ceux qui l’éprouvent. Car si vous ne le trouvez pas tel, si vous ne vous apercevez pas qu’il est ainsi, il vous est pesant alors et périlleux. L’homme, pendant sa vie mortelle, est comme un animal destiné à porter toujours une charge. S’il porte encore ses péchés, il est surchargé et s’il est soulagé de ce fardeau sa charge est moins lourde. Mais si cet homme est éclairé de la véritable sagesse et s’il sait estimer les choses comme elles sont, la grâce, par laquelle Notre Seigneur l’a déchargé de ses péchés, lui paraîtra une charge aussi grande que l’autre. Dieu donc nous charge en diminuant notre fardeau. Il nous charge de ses grâces, en nous déchargeant de nos péchés. Ecoutez le cri d’un homme chargé des bienfaits de Dieu : « Que rendrai-je au Seigneur pour toutes les choses qu’il m’a données. (Psal. CXV, 12). » Ecoutez encore un homme qui se voyait comblé de grâces : « Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur (Luc. V, 8). » Entendez enfin le langage d’un serviteur de Dieu chargé de ses dons : « J’ai toujours craint Dieu, et j’ai toujours, appréhendé sa colère, comme on craindrait d’être submergé par les flots de la mer lorsqu’elle est agitée (Job XXXI, 23). » J’ai toujours craint, dit-il, j’ai craint avant que d’avoir reçu le pardon de mes péchés, j’ai continué de craindre après l’avoir obtenu. Heureux l’homme qui est ainsi toujours dans la crainte et n’est pas moins soucieux de ne se point laisser accabler par les bienfaits de Dieu que par ses propres péchés.
2. Quand on nous représente la libéralité de Dieu si continuelle et si abondante envers nous, c’est principalement pour nous porter à la reconnaissance, et pour nous exciter à l’aimer. Il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Qu’a-t-il pu faire de plus qu’il n’aie pas fait ? Mais je vois bien à quoi vous pensez, âme généreuse, vous êtes heureuse d’avoir les anges du Seigneur près de vous. Mais vous aspirez à posséder le Seigneur même des anges. Vous demandez, et vous désirez de tout votre cœur, que celui qui vous encourage par ces paroles ne se contente pas de vous envoyer ses ministres, mais veuille lui-même, sans cesser d’être présent, vous donner un baiser de sa bouche. Vous avez appris que vous marcherez sur l’aspic et sur le basilic, sur le lion et sur le dragon, et vous êtes sûre de la victoire que l’archange Michel, et que tous les anges doivent remporter sur le dragon, Cependant ce n’est pas vers cet archange, mais c’est vers le Seigneur même que vos désirs vous font soupirer et crier : «Délivrez-moi et mettez-moi près de vous, et après cela que la main de qui que ce soit s’arme contre moi (Job XVII, 3). » Se trouver dans ces dispositions, ce n’est pas chercher un refuge plus haut que les autres refuges ; mais c’est s’en assurer un plus haut que les plus hauts, et mériter de pouvoir dire : « Seigneur, vous êtes mon espérance» et d’entendre au fond de sou cœur cette réponse : « Vous avez pris un refuge extrêmement élevé. »
3. Le Seigneur plein de miséricorde et de compassion ne dédaigne pas d’être lui-même l’espérance des misérables. Il ne refuse pas de se faire lui-même le libérateur, et le protecteur de ceux qui espèrent en lui. «Parce qu’il a espéré en moi, dit-il, je le délivrerai, je le protégerai, lui, parce qu’il a connu mon nom (Psal. CXXVI, 3) » Il est certain que si le Seigneur ne garde pas la forteresse en vain celui qui la garde, qu’il soit homme ou ange, se tient l’œil au guet. Il y a des montagnes autour de Jérusalem; mais c’est peu de chose ; ce ne serait même rien, si le Seigneur lui-même ne demeurait autour de son peuple. C’est pourquoi l’Épouse représentée avec raison comme ayant trouvé les gardes qui veillaient à la défense de la ville (Cant. III, 3), ou plutôt comme ayant été rencontrée elle-même par eux, puisqu’elle ne les cherchait pas, n’est point encore contente d’être ainsi gardée, mais s’informe promptement de son Époux, et va le trouver avec une vitesse incroyable. Son cœur n’était point à ces gardes, et toute sa confiance était en son Seigneur : si on veut l’en détourner, elle répond : « Je me confie en Dieu, comment pouvez-vous dire à mon âme : Transportez-vous comme un oiseau sur la montagne (Psal. X, 2) ? » Les Corinthiens n’observèrent pas combien est importante et nécessaire cette confiance qui n’a que Jésus-Christ pour objet, lorsqu’ayant rencontré, comme l’Épouse du Cantique, des gardes et des sentinelles établies pour le salut de leurs âmes, ils s’arrêtèrent à eux. « Je suis à Céphas, je suis à Paul, je suis à Apollo, disaient-ils (I Cor. I, 12). » Mais que firent les ministres de Jésus-Christ, si modérés, si vigilants et si circonspects ? Car, ils ne pouvaient pas garder pour eux l’Épouse pour laquelle ils n’avaient entre eux qu’une émulation toute sainte, et qu’ils voulaient conduire et présenter à Jésus-Christ, comme une vierge toute chaste et toute pure. L’Épouse des Cantiques continue : « Ils m’ont frappée et m’ont fait des blessures (Cant. X, 7). » Pourquoi la frappaient-ils ? Sans doute pour la presser de passer outre et d’aller chercher son époux plus loin. Ces gardes, dit-elle, m’ont ôté mon manteau. C’était, sans doute afin qu’elle courût plus vite vers l’objet de son amour. Remarquez, avec moi, combien l’Apôtre frappe de même avec force les chrétiens de Corinthe, de quelles flèches il les blesse, parce qu’ils semblaient vouloir s’arrêter et se complaire avec les gardes: « Est-ce Paul, dit-il qui a été crucifié pour vous, ou bien avez-vous été baptisés au nom de Paul ? Lorsque quelqu’un d’entre vous dit : Je suis de Paul, l’autre : je suis d’Apollo, n’êtes-vous pas des hommes ? Que pensez-vous donc que soit Apollo ? que soit Paul ? Ce ne sont que les serviteurs de celui en qui vous croyez. Je le délivrerai, dit le Seigneur, parce qu’il a espéré en moi. Ce n’est point en ceux qui veillaient sur son salut, ni en moi, homme, ni en un ange, mais en moi seulement qu’il a espéré, dit le Seigneur, il n’attendait rien de bon que de moi non pas même du ministère de ceux qui me représentent. Car tout don parfait, et tout bien excellent vient du ciel, et nous est donné par le Père des lumières (Jac. I, 17). C’est par moi que toute la vigilance et tous les soins des hommes sont utiles, et qu’ils peuvent tirer quelque fruit de leurs travaux. Car c’est par moi qu’ils veillent comme ils doivent sur les âmes . C’est par moi que les anges sont si vigilants dans leur ministère, ont l’œil ouvert sur les plus secrets mouvements des âmes qu’ils portent à de saints mouvements, et qu’ils éloignent les suggestions malignes de l’ennemi. Mais il est toujours nécessaire que je garde moi-même le cœur de l’homme, dont les yeux, ni même ceux des anges ne sauraient pénétrer le secret.
4. Reconnaissons donc, mes frères, que nous avons autour de nous trois sortes de gardiens et ayons soin de nous acquitter de nos différents devoirs à l’égard de chacun d’eux, et faisons le bien, en même temps, sous les yeux des hommes, des anges et de Dieu. Appliquons-nous à les contenter en toutes choses, mais mettons principalement tout notre cœur à plaire à celui qui est plus que tout pour nous. Chantons ses louanges en présence des anges et que cette parole du Prophète s’accomplisse en eux : « Ceux qui vous craignent me regarderont, et seront dans la joie, parce que j’ai mis toute mon espérance dans votre parole (Psal. XVIII, 74).» Obéissons à nos supérieurs qui veillent de tout leur pouvoir, parce qu’ils auront à rendre compte de nos âmes, afin qu’ils ne s’acquittent pas de ce devoir avec mécontentement et tristesse (Hebr. XIII, 17). Mais, grâce à Dieu, je n’ai pas besoin de vous faire de grandes recommandations, ni d’avoir de crainte pour vous au sujet des supérieurs. Votre obéissance est prompte et fidèle comme votre vie est irrépréhensible, et c’est ce qui fait ma joie et ma gloire. Et combien ces joies seraient-elles encore plus grandes, si j’avais la certitude que les anges même ne peuvent voir en vous rien d’indigne de votre état, rien d’échappé à l’anathème de Jéricho, ni personne parmi vous qui murmure et qui médise en secret, personne qui agisse avec hypocrisie, ou avec relâchement, personne enfin qui entretienne dans son esprit de ces pensées honteuses et lamentables qui mettent quelquefois le trouble jusque dans les sens ? Sans doute, cette certitude augmenterait beaucoup ma joie, mais elle ne la rendrait, pas encore pleine et entière.
A la vérité, nous ne sommes pas tels que nous puissions nous mettre peu en peine de ne pouvoir être repris par les hommes, et de ne nous sentir coupables de rien. Mais si les plus grands serviteurs de Dieu craignent ses jugements, combien avons-nous sujet de trembler eu songeant que nous devons être examinés par ce juge ! Ah ! quelle serait ma joie si j’étais entièrement assuré qu’il n’y a rien dans aucun de nous qui puisse offenser cet œil divin qui seul connaît parfaitement tout ce qu’il y a dans l’homme, et qui voit en lui ce qu’il n’est pas capable d’y voir lui-même. Je vous en conjure, mes frères, que le souvenir des jugements de Dieu soit désormais toujours présent à nos pensées, qu’il nous remplisse d’autant plus de crainte et de tremblement, que nous pouvons moins comprendre l’abîme impénétrable et l’irrévocable portée de ses jugements. C’est avec cette crainte que notre espérance acquiert des mérites, elle seule lui fait produire tous ses fruits.
5. Et même si l’on observe, avec les lumières de la sagesse chrétienne, quelle est la nature de cette crainte, on trouvera qu’elle est un motif très-sûr et très-efficace de notre espérance. Car cette crainte est une des plus grandes grâces que nous recevons maintenant de sa bonté, et le fondement assuré des promesses de l’avenir. Enfin, Dieu se plait, comme dit le Prophète, en ceux qui le craignent, et notre vie est en sa volonté, et notre salut éternel dépend de son bon plaisir. « Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai. (Psal. CXLVI, 11). » Avec quelle douce libéralité, Dieu ne manque jamais à ceux qui espèrent en lui ! Tout le mérite de l’homme consiste principalement à mettre toute son espérance en celui qui sauve tout l’homme : «vos pères ont espéré en vous, ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Ils ont crié vers vous, et vous les avez sauvés. Ils ont espéré en vous, et ils n’ont pas été confondus. ( Psal, XX, 5). » Car où est celui qui a espéré en lui, et a été confondu ? Espérez en lui, peuple fidèle. Vous posséderez tous les lieux où vous poserez le pied. Oui, si loin que vous alliez dans votre espérance, vous posséderez tout le bien qu’elle aura embrassé si votre espérance est fondée solidement en Dieu, si elle est ferme et inébranlable. Pourquoi le fidèle, en espérant en Dieu de cette manière, craindrait-il l’aspic ou le basilic; pourquoi serait-il épouvanté par le rugissement du lion, ou par le sifflement du dragon ?
6. « Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai. » Et afin que celui qui a été délivré n’ait pas besoin d’être délivré une seconde fois, je le protégerai et je le conserverai ! Si toutefois il reconnaît mon nom et ma puissance, ne s’attribue point sa délivrance et en rapporte toute la gloire à mon nom. « Je le protégerai, parce qu’il a connu mon nom. (Hebr. XI, 1). » Quand nous verrons Dieu face à face, ce sera pour nous la gloire : connaître maintenant son nom, est pour nous, en cette vie, la protection dont nous avons besoin. En effet, on n’espère plus quand on voit et quand on possède. La foi nous vient par l’ouïe, (Rom. vin, 24), elle fait subsister dans notre esprit l’objet de notre espérance, ainsi que nous l’apprend saint Paul. « Je le protégerai, parce qu’il a connu mon nom. » Or, ce n’est point connaître véritablement le nom de Dieu que de le prendre en vain, que de lui dire seulement, Seigneur, Seigneur, sans observer ce qu’il nous commande. Ce n’est pas connaître le nom de Dieu, que de ne point l’honorer comme notre Père et comme notre Seigneur. Ce m’est point connaître le nom de Dieu que de tourner nos affections vers les vanités et les folies du monde. Et il est dit : « L’homme est heureux lorsque le nom du Seigneur est toute son espérance et toute sa joie, et qu’il ne regarde point ces vanités et ces folies où il n’y a que de la fausseté et que de l’illusion. (Psal. XXXIX, 5). » Mais celui qui disait : « Il n’y a point d’autre nom donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés, (Rom. VIII, 24,) », connaissait bien ce grand nom de Dieu. Et si nous connaissons ce saint nom qui a été invoqué sur nous, nous devons désirer qu’il soit toujours sanctifié en nous. Nous devons toujours demander cette sanctification dans nos prières, selon que Notre-Seigneur nous a appris à le faire dans ces paroles « Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. » Mais remarquez encore ces paroles du verset que je vous explique. « Il a crié vers moi et je l’ai exaucé. (Matth. VI, 9). » Voilà quel est le fruit de la connaissance du nom de Dieu, c’est le cri de la prière que nous poussons vers lui. Or l’effet de cette clameur de l’âme qui prie, c’est d’être exaucée par le Sauveur. Car comment pourrait-elle être exaucée si elle n’invoquait pas ? Ou, comment pourrait-elle invoquer le nom du Seigneur si elle ne le connaissait pas? Rendons grâce à celui qui a manifesté aux hommes le nom du Père éternel, et qui a établi le salut dans l’invocation de ce nom tout puissant, selon cette parole d’un prophète : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. (Joël, II, 32).
Texte intégral – Saint Bernard – Dix-sept sermons sur le psaume 90
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